1: Principes épistémologiques

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L’erreur réside dans la supposition fondamentale qu’il est possible d’expliquer tous les événements de la nature du point de vue mécanique.

Albert Einstein


La physique est la science de la mécanique générale de l’Univers

Elle décrit le réel en tant qu’il existe et se donne pour savoir à l’Esprit. La  physique doit rendre compte des propriétés de ses objets d’expérience et ne saurait travailler sur des êtres hypothétiques et sur des concepts ne pouvant traduire quelque aspect de la réalité.

Consécutivement, elle appréhende la totalité des objets du monde et en  construit une représentation cohérente de telle sorte que chaque étant obéisse à des lois générales qui sont celles par lesquelles l’Univers s’assure, peut être, demeurer et devenir.

Ces lois commandent les modalités de surgissement et d’être des éléments,  leur  masse, mouvements, interactions, associations et disparition. Leur découverte et mise en cohérence constituent la tache de la science physique qui tend progressivement à élaborer une représentation unifiée de l’Univers.

Ces lois et principes constituent des contraintes qui s’imposent et déterminent les phénomènes et sans le respect desquels l’Univers ne serait pas compréhensible et ne pourrait fonctionner ni être.

Il appartient à la mécanique générale de définir les propriétés et les modalités de fonctionnement des objets physiques et à la mathématique d’ en assurer la mesure.

Une science exacte peut user de la mathématique afin de s’assurer d’une mesure objective des phénomènes. Cependant, ce n’est pas parce que nous parvenons à une forme quantifiée vérifiée par l’expérience que nous avons épuisé la connaissance de l’objet. A côté de l’exigence mathématique indispensable, on doit exiger  une description phénoménologique pour valider complètement une théorie physique.

La mathématique ne saurait trouver en elle-même sa légitimation pour se constituer en procédure scientifique exclusive et autonome, intraduisible dans le langage de la raison et ne saurait constituer le mode de vérité exclusif.

Tous les concepts physiques relèvent de définitions a priori qui constituent le soubassement des développements formels et rendent la mesure et l’expérimentation possibles.

Il ne s’agit  pas de dénier à la mathématique son rôle de preuve décisive mais de la subordonner à un corpus de lois et de principes déduits de l’expérience.

C’est dans « Les principes mathématiques de la philosophie naturelle » que Newton écrit:

 » Je ne recherche point dans ce traité l’espèce de ces forces ni leurs qualités physiques, mais leurs quantités et proportions mathématiques. C’est par les mathématiques qu’on doit chercher les quantités de ces forces & leur proportions qui suivent des conditions quelconques que l’on a posées: ensuite lorsqu’on descend à la physique on doit comparer ces proportions avec les phénomènes; afin de connaître quelles sont les lois des forces qui appartiennent à chaque genre de corps attirants, c’est alors qu’on peut examiner avec plus de certitudes ces forces, leurs causes & leurs explications physiques. »

1 – Newton distingue très bien les rôles respectifs des mathématiques et des lois physiques, l’aspect quantitatif et les qualités physiques. Par qualités physiques il faut entendre la définition d’un objet physique, la nature de ces corps, les causes qui engendrent un phénomène et bien d’autres contraintes. Par nécessité, cet aspect qualitatif ne peut s’exprimer en termes quantitatifs, nous avons besoin du langage non mathématique pour exprimer les PRINCIPES fondamentaux qui permettent de construire un système rationnel de lois physiques. Le problème de la physique d’aujourd’hui, c’est qu’elle a basculé pour une grande part dans le quantitatif en relâchant ses liens avec le qualitatif.

2 – La physique d’aujourd’hui est victime de son succès qui tient pour partie au geste inaugural de Galilée selon lequel « la nature parle essentiellement le langage mathématique ». Ces extraits du livre de Jules Vuillemin : « La logique du monde sensible –Flammation )»  circonscrivent cette problématique en analysant l’histoire de sa genèse, depuis Aristote Jusqu’à Galilée.


a) On pourrait dire avec Aristote  que l’engagement ontologique, dont on reconnait la nécessité en biologie et en physique, n’a pas lieu d’être en mathématique, que les objets mathématiques sont des abstraits et non des substances et que si le mathématicien a le droit de parler et de faire comme si le cercle ou le carré étaient des universels existants, parce qu’il ne parle pas sur le cercle ou le carré en tant que tels, c’est-à-dire en tant qu’objets ou que formes sensibles, mais seulement sur les attributs particuliers de la grandeur spatiale ( et en arithmétique, des nombres), ce langage ne  lui permet nullement d’inférer que le cercle ou les sphères existent en dehors des roues ou des boules sensibles que nous fabriquons ou que la nature fabrique devant nous. De ce point de vue, tous les énoncés mathématiques se situent en dehors des énoncés d’existence.

b) Pour rendre possible une science des abstraits (telle que les mathématiques), il faut que la relation de prédication essentielle n’ait pas pour unique champ les substances concrètes. Aristote distingue donc une prédication essentielle primordiale, qui a lieu entre substances, et une prédication essentielle dérivée, qui a lieu entre abstraits et permet d’en donner une définition.
Les deux types de prédications, celui de l’universel et celui de l’abstrait, sont liés à l’existence de la matière, ingrédient indispensables avec la forme dans tous les êtres sensibles. C’est parce que la substance sensible comporte de la matière…qu’elle se révèle à la sensation par les accidents qui lui adviennent.La distinction entre ces deux types de prédication conduit à pouvoir définir un cercle sans pour autant reconnaitre que ce cercle existe. Ainsi, parce qu’ils portent sur des substances, la physique et la théologie (pour Aristote) sont ontologiques. Au contraire parce qu’elle porte sur des abstraits, la mathématique ne l’est pas. En conséquence, il ne peut y avoir de physique mathématique. Certes, si on étudie les propriétés ou les relations abstraites des corps, purement extérieurs à ceux-ci, une géométrie et une arithmétique sont possibles. Mais l’attribut le plus caractéristique des substances sensibles, le mouvement, reste en dehors de la méthode mathématique. En effet, il est défini ontologiquement comme acte d’un moteur et d’un mobile et se trouve donc rapporté à des substances.

c) C’est en brisant cette opposition radicale entre substance et abstrait que la science moderne pourra se constituer…C’est Galilée qui conçoit abstraitement l’objet de la physique en affirmant que tous les corps sont pesants et que le mouvement est possible dans le vide – le vide étant une sorte de condition de simplicité idéale pour le déroulement de phénomènes entièrement géométrisés. Du même coup il abolit le lien millénaire entre le mouvement local et la nature des corps mus, le mouvement devient un phénomène, qu’il sera possible d’étudier pour lui-même en le soumettant à l’analyse. Ainsi pourra-t-on introduire dans la science les notions de vitesse instantanée et d’accélération, desquelles toute idée de puissance – et donc toute liaison avec les substances porteuses de mouvement – a été éliminée.