4 – De l’Esprit

1- Universalité et éternité de la fonction métaphysique de connaissance.

La matérialité ne peut s’observer de l’extérieur car il n’y a pas de sortie possible de l’Un de l’univers. La connaissance métaphysique suppose une coupure originelle de l’Un entre un objet et un sujet pour former le couple matérialité/immatérialité.

Pour qu’une connaissance soit établie, il faut un instrument de connaissance distinct de l’objet à connaître. La mise à distance de l’objet fonde le sujet. L’oeil ne peut se voir lui même pas plus que la pierre ne peut constater son existence. Une pensée sans extériorité aucune ne pourrait savoir qu’elle est. Pour exister, il faut que soit constitué un objet séparé à partir de quoi se constitue l’identité.

Cette scission permet le savoir de l’un sur l’autre et toute la matérialité active dispose donc d’une « fonction de connaissance » par laquelle s’établit sa relation avec l’extérieur, le non soi de l’étant. Ainsi, au Tout de la matérialité et de l’espace-substance s’ajoute cette « fonction » d’extériorité de sorte que ce nouvel ensemble soit supérieur à la totalisation de ses parties.

Cette fonction informative étant à la fois interne et externe à ce Tout, l’ensemble de tous les ensembles peut sans difficulté aucune se comprendre lui-même (et se comprendre au sens de savoir). Cette fonction est connaissance de l’un par l’autre dans la relation entre étants qui doivent agir et réagir et pour cela se « connaître ». Elle se situe plus exactement dans le rapport, le moment où l’information de l’autre se transmet à l’un. Elle devient mémoire et concept (au sens large) dans les organismes plus évolués. Comme cette fonction ne doit en rien posséder les propriétés de la matérialité tout en procédant expressément et qu’elle ne peut aucunement s’en détacher au risque de « n’être plus au monde » elle se doit d’être sans ex-istance, Etre dans le monde sans posséder les attributs de la matérialité, être sans aucune réalité tangible, détenir le statut d’essence immatérielle. Elle suppose un écart par lequel le sujet s’informe sur l’objet qui ne peut aller qu’en s’élargissant à mesure qu’un étant plus complexe dispose d’organes plus spécialisés et nombreux lui permettant d’obtenir un plus grand nombre d’informations sur son milieu.

La pensée se construit par complexification du système nerveux réflexe qui éloigne toujours plus la réaction de l’action.

Dès le plus petit constituant de la matière l’électron, nous trouvons le principe réflexe en exercice qui lui permet d’agir (attraction) ou de réagir (répulsion). Un minéral quelconque, apparemment inerte réagit à l’action exercée contre lui ( bris, émission de photons, chaleur)  ou agit ( association de matériaux, composés moléculaires, etc). La réaction ou l’action sont le fait d’un individu constitué et définissent le type de relation qu’il entretient avec un milieu. Fondamentalement tout existant, pour Etre  et demeurer doit agir ou réagir. (La substance de l’espace, bien que non individuée manifeste son être-absent par une réaction : les ondes EM, à sa mise en mouvement). L’étendue du champ d’action et de réaction sera variable selon les règnes (minéral, végétal ou animal). Il va de soi que plus vaste sera ce champ plus grand sera le pouvoir de s’adapter au milieu et de le maîtriser à son profit. Il paraît évident également que le principe d’action/réaction est lié à celui de complexité et qu’en tous temps de l’éternel mouvement du cosmos, il se trouve un étant particulier qui représente la pointe extrême de ce processus.

Comment passe-t-on du pur réflexe à la réflexion et à la pensée ?

Des capteurs (œil, oreilles, sens) reçoivent l’information de notre environnement (voir de l’intérieur de notre corps) qui est envoyé par nos nerfs au cerveau qui réagit ; cette réaction est transmise via les nerfs moteurs aux muscles qui activent la réaction. Le cerveau humain est l’interface entre actions reçues et réactions émises. Nos perceptions ne sont pas de simples copies mentales de notre environnement et ne se résument pas au signal envoyé par les capteurs au cerveau. C’est le signal sensoriel traité par le cerveau afin d’envisager une réaction possible qui constitue notre perception. La perception n’est pas l’action reçue mais l’ensemble des réponses possibles à cette action.

Entre action et réaction peut s’écouler un temps plus ou moins long. Dans le cas de l’habitude, la réaction s’enchaîne de façon instantanée avec l’action. Il ne s’agit pas de réflexes mais lorsqu’une séquence est bien connue elle peut être réalisée rapidement sans nécessiter de concentration. Ce qui permet de gagner en efficacité et libère le cerveau.

Face à une situation totalement déroutante l’habitude est inefficace et il faut faire appel à notre mémoire pour rechercher une expérience proche capable de nous éclairer sur le choix à faire. Il faut réfléchir et cela prend du temps. L’espace entre réception et réaction s’agrandit. A l’extrême limite, ce temps devient infiniment long : c’est la réflexion pure. L’action ne donne plus lieu à réaction, le schème sensori-moteur est brisé. Il s’agit là de deux moments extrêmes et le fonctionnement du cerveau oscille en permanence entre les deux. Le temps disponible pour la réflexion est contraint par l’urgence de l’action/réaction.( extrait d’un article d’encyclopédie)

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Comme on le constate, la pensée est directement liée au réflexe qui est dépendant de la mémoire laquelle  a emmagasinée sous forme d’habitude des réflexes anciens comme autant de réponses stockées. La réflexion s’analyse comme un écart dans le temps entre l’action et la réaction. La caractéristique de la pensée proprement dite est de se détacher de l’immédiateté du réflexe, de mettre une distance entre la situation externe et elle-même, de se détacher du monde pour accéder à une liberté qui est séparation, éloignement du réel brut.

La pensée, dans l’économie générale du monde et comme complexification du système nerveux, apparaît n’être qu’un des prolongements des modalités de motricité et d’action du règne des vivants dans le processus bien connu de l’évolution dans lequel on ne saurait distinguer l’inerte de l’actif : tout procède du mouvement général de la matière. Voilà pourquoi, l’émergence de la conscience  n’apparaît pas comme un phénomène  particulièrement inouï ou surprenant.

Le parti pris ici est celui d’un strict finalisme. Certes, l’émergence de l’esprit est soumise à la contingence la plus grande et les conditions à réunir sont considérables si bien qu’on a pu dire que la parution de la vie et celle de l’homme sont purement aléatoires. De là  l’idée d’une sorte de miracle de l’humanité à jamais unique et difficilement reproductible. Or ces aléas se trouvent intégrés à un champ de possibles qui ne sont pas eux-mêmes en quantité illimitée. Il n’est donc pas absolument impossible que les déterminismes ne jouent pas à nouveau et il n’y a aucune raison de penser que ce qui s’est produit une fois ne peut se reproduire une quantité infinie de fois dans la « durée » qui est celle de l’éternité.

Ainsi, la plus grande conscience est atteinte quand la plus grande distance réactive s’établit avec la matérialité, avec le réflexe immédiat, quand la conscience stocke l’expérience sous forme de concepts qui ne sont que mémoire des expériences passées. L’esprit s’impose d’autant plus que s’opère la distinction entre l’intérieur et l’extérieur, et que la représentation s’affranchit de la corrélation entre des états internes et les faits du monde pour entretenir une « vie de l’esprit » indépendante, sans pour autant pouvoir s’affranchir de son rapport vital au monde que le corps exige. Cette inadéquation de l’acte à la représentation est ce que nous appelons conscience. La représentation de l’acte ne peut se superposer à la représentation, il n’y a pas le recul que suppose la conscience . On peut définir la conscience comme l’écart entre la représentation et l’action. C’est la faiblesse de l’instinct, la distance de l’acte à l’idée qui constituera la conscience. Mais, il n’y a qu’une différence de degrés entre instinct et intelligence, l’instinct étant une sorte d’intelligence stockée, mémorisée qui libère la conscience pour l’action. L’instinct est spécialisé, il utilise pour un but déterminé une fonction unique. Entre les « réactions » du règne végétal, la vie instinctive des insectes et l’activité de la raison, il n’y a pas perfectionnement successif mais développement de 3 directions divergentes à partir d’une même origine et  qui n’ont cessé de se perfectionner, chacun pour elle-même.

1) Comment, dans l’évolution naturelle s’est façonné l’esprit ? Essentiellement par perception des sens et pour faire simple nous dirons que l’œil et le son ont été à l’ origine de l’image mentale et du langage. Nous en tenant au langage, nous dirons que c’est la voix qui a fabriqué le concept ce qui explique que la pensée conceptuelle est faite de mots et que en réfléchissant nous reproduisons les sons et les mécanismes cérébraux mêmes par lesquels nous articulons une phrase. Ainsi en pensant, nous émettons des sons, des sons intérieurs.

Quelle est alors la nature de ce phénomène ? Existe-t-il au sens où ce qui existe présente au moins quelques propriétés lui permettant d’émarger à la réalité ? Plus précisément un phénomène peut-il être sans avoir un lieu et une quelconque « réalité » lui permettant de se distinguer du rien, du non être ?  A l’évidence la pensée EST, existe comme phénomène, elle a un lieu d’émergence – le cerveau- et disparaît lorsque celui-ci n’est plus. Mais, si la pensée est d’une autre nature que le cerveau, si elle est « sons intérieurs », « vibrations »,  elle ne peut être réductible à la matérialité de celui-ci. Existe-t-il alors une « autre réalité » qui, sans être matérielle présente quelques propriétés de la matérialité ?

A l’évidence, seules les ondes électromagnétiques peuvent « exister » comme phénomènes sans pour autant être matérialité proprement dite.

Si la pensée ne saurait « être » une pure abstraction évanescente relevant du non être ni matérialité brute, et si par ailleurs elle s’exprime par vibrations sonores intérieures, alors elle relève effectivement d’un processus électromagnétique, d’une émission à très basse fréquence d’ondes EM produites par le mouvement des atomes et particules qui composent effectivement la matérialité du cerveau.

Comme on le constate, le savoir de l’esprit sur la matière, la fabrication de concepts met en œuvre les propriétés électromagnétiques de la matière et celle-ci possède ainsi les moyens de se connaître elle-même par l’intermédiaire de l’esprit. Aussi, lorsque par exemple le concept d’arbre est « sonorisé » par un vocable lorsque ses propriétés sont extraites (écorces, feuilles,racines etc), la matière peut se savoir « de l’extérieur » par l’intermédiaire de l’esprit. Les essences ainsi extraites appartiennent bien à l’étant considéré mais demeurent en elles-mêmes et limitées à elles-mêmes, un peu comme si notre corps ne connaissait que des fonctions vitales de sa survie élémentaire. Si l’esprit s’est façonné par intégration d’un savoir « sensitif » de l’extériorité à l’identique de tous les étants, la pensée n’apparaît pas comme une transcendance de la matière ou comme rupture d’un état précédent. Ce n’est pas une fonction originale qui mettrait en œuvre des  moyens étranges ou magiques mais il s’agit de procédures électromagnétiques par lesquelles véritablement c’est « la matière qui parle ».

2) On doit réaffirmer, parallèlement à l’évolution biologique, une histoire véritable de l’esprit qui se constitue progressivement selon certaines étapes représentant autant de ruptures fondamentales d’états, s’initiant à partir d’une totale inconscience pour aboutir provisoirement au sujet moderne conscient de soi.

La construction du sujet-acteur autonome, responsable de ses actes résulte d’une longue élaboration, d’un détachement progressif de la nature, des forces et croyances religieuses tout autant que sociales. En Grèce le « moi » était plutôt un effet de l’acte inspiré par les dieux ou émanant de forces internes auxquelles l’individu devait obéir. L’acteur était au centre d’un réseau de forces physiques, divines et sociales et son existence était soumise à un destin inéluctable sur lequel il n’avait pas prise. Un long mouvement de détachement a donc été à l’origine de la construction du sujet moderne : éloignement de l’individu du groupe familial, tribal ou économique dans lequel il était inséré comme partie d’un tout et la perte d’influence de la religion comme cause explicative des phénomènes physiques aussi bien qu’humains. Avec Descartes notamment, le dédoublement assumé entre le moi et le je permet d’asseoir la subjectivité dans la conscience elle-même conçue comme césure interne. Hegel intègre cette scission dans le savoir absolu de l’esprit seul producteur de concepts par lesquels toute l’extériorité est résorbée, sans arrière monde, sans au-delà possible du concept.

Au contraire, notre propos n’est pas au terme de l’odyssée de la conscience de résorber la division initiale esprit/nature, mais de poser celle-ci comme fondatrice du savoir.

Le système nerveux a pour fonction la prise en charge de l’organisme et constitue le « moi » individué qui agit et réagit. Le principe d’évolution commande l’accroissement de connaissance dont l’instrument est le système nerveux qui en se complexifiant et en augmentant sa capacité à traiter les informations sur le milieu tend toujours à réaliser l’absolu de sa fonction dans un organisme tel qu’on peut affirmer qu’en tout temps il a existé un étant remplissant le mieux cette activité de connaissance, d’action et de réaction sur l’environnement. Cette capacité à « comprendre » l’extériorité permet à cet étant un plus grand champ d’actions de sorte qu’il s’extrait progressivement de contraintes et limites de son milieu en s’autonomisant davantage, en se séparant ainsi de plus en plus de sa matérialité originaire. Le sujet connaissant se constitue d’autant plus qu’il transfert les essences de l’objet vers lui-même, que sa compréhension est plus vaste de l’extériorité, qu’il constate sa DIFFERENCE.

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L’émergence de la conscience de soi

Or, ce processus de connaissance par séparation, mise à distance entre la fonction de connaissance et le réel connu doit logiquement aboutir, si on la conduit vers son absolu, à ce que la connaissance porte également sur la faculté de connaître, tel que se produise une deuxième scission mais cette fois-ci interne à cette fonction qui doit tout à la fois se poser comme sujet et objet de son interrogation, se mettre à distance d’elle-même pour lui permettre de questionner l’instrument qui lui permet justement d’interroger. Le dédoublement par un « je » est alors consécutif à cette fonction de recul de la pensée qui pose à distance le « moi » organique et réflexe qui s’analyse « comme de l’extérieur ». Aussi, l’essence du « moi » et du « je » n’est pas différente puisqu’il s’agit de la même fonction physico-chimique à l’œuvre tout aussi bien dans l’analyse de l’extériorité du réel que dans l’intériorité d’une « conscience ».

Le retour de la pensée vers elle-même ne peut être un phénomène originel et premier et suppose donc des étapes, une lente progression pour que s’effectue cette scission interne.

Le surgissement de l’Esprit est la poursuite du mouvement de complexification de cette fonction de connaissance de la nature par elle-même et pour elle-même. L’Esprit est naturellement métaphysique et il est impossible d’opérer une césure entre le savoir de la matérialité stricto sensu sur elle-même et celui de l’Esprit.

La pensée, à l’origine façonnée par imprégnation du réel dont elle retire les essences sous forme de concepts, applique, pour ce qui concerne sa propre analyse, les mêmes « outils » conceptuels. Ainsi, parce que la représentation suppose une séparation du sujet et de l’objet et puisque la pensée est distance avec le système réflexe immédiat, la scission entre le « moi » et le « je » est-elle présupposée à l’origine du processus d’évolution de la nature. La pensée qui est distanciation avec la matière conduit à terme à ce que le « moi » se distingue du « je », que la ré /flexion qui au début porte sur le réel finisse par se retourner vers l’intérieur de la conscience. Le concept du « moi » – conçu comme intériorité – retire ainsi l’essence du « je » – mis à distance comme extériorité – pour le retourner à nouveau en concept.

La conscience de l’Autre conduit à la conscience de soi. Poser la différence, c’est donc fonder l’individualité du sujet. La conscience de soi est avant tout conscience d’être au monde dans un rapport avec l’extériorité. Mais cette séparation elle-même est le fruit d’une lente évolution qui trouve dans l’occident judéo-chrétien puis dans le naturalisme du XVIIIeme siècle une sorte d’aboutissement qui institue l’opposition assez nette entre culture et nature, celle-ci devant faire l’objet d’une exploration de type scientifique. Mais dans l’animisme ou le totémisme, la distinction était bien moins tranchée entre l’homme, les plantes et les animaux qui participaient comme un tout, à « l’âme » du monde.

Ainsi, les procédures mentales d’interrogation du réel ne sont-elles pas différentes de celles de la conscience, d’autant que celles-là devaient nécessairement précéder celles-ci. Le mode interrogatif n’est pas le propre de la seule humanité mais concerne tout le vivant doté d’un système nerveux et la matérialité active et réactive. Il ne peut y avoir de réflexion que si l’objet se réfléchit dans le sujet de l’observation, que s’il y a séparation, écart, de sorte que lorsque la pensée se pose à la fois comme objet et sujet, il faut que le « moi » se distingue du « je », il faut que la conscience se dédouble pour s’interroger elle-même exactement comme elle interroge l’extériorité du monde.

Le retournement de la conscience sur elle-même par lequel l’auto questionnement est possible, résulte d’un phénomène de complexification du système nerveux qui prolonge ainsi cette fonction de « compréhension ». L’homme n’est pas le seul étant à questionner, mais il est le seul à pouvoir se « regarder penser ». Dés lors, il n’y a nulle surprise, ni inquiétude ou détresse à assister à ce dédoublement qui est pleinement dans l’ordre naturel des choses : le « je » et le « moi »ne sont pas étrangers mais fonctionnent selon un jeu de miroir en se justifiant mutuellement.

En définitive, si la constitution de l’esprit résulte d’un processus de complexification de la fonction métaphysique de la nature et peut s’analyser comme une différenciation en degré de cette complexité, le retournement de l’Esprit sur lui-même comme « conscience de soi » constitue cependant une véritable rupture ontologique, un saut qualitatif par lequel paraît une fonction du savoir métaphysique tout à fait originale et différente de la métaphysique de la matérialité.

(Il s’agit d’une différence qui se constitue sur un base commune, une rupture d’état qui conserve certaines propriétés de l’étape précédente).

Dés lors, si la conscience peut comprendre le fonctionnement de la matière, l’électron par exemple ne peut comprendre l’esprit, et ne peut que le faire fonctionner. C’est un conséquence du principe de complexité : le plus petit, le plus simple ne peut, par définition englober le plus vaste, l’organe qui possède un plus grand nombre de propriétés, de moyens, d’instruments, pour comprendre. Ainsi, si l’essence du savoir réside dans la matérialité; L’esprit, qui possède la plus vaste capacité  englobe le savoir sur les essences qui lui sont inférieures dans la hiérarchie des essences.

Dés le plus petit constituant de la matière l’électron, nous trouvons le principe réflexe en exercice qui lui permet d’agir (attraction) ou de réagir (répulsion).

Entre action et réaction peut s’écouler un temps plus ou moins long. Dans le cas de l’habitude, la réaction s’enchaîne de façon instantanée avec l’action. Il ne s’agit pas de réflexes mais lorsqu’une séquence est bien connue elle peut être réalisée rapidement sans nécessiter de concentration. Ce qui permet de gagner en efficacité et libère le cerveau. (ex jouer d’un instrument de musique demandant au début une grande concentration).

Face à une situation totalement déroutante l’habitude est inefficace et il faut faire appel à notre mémoire pour rechercher une expérience proche capable de nous éclairer sur le choix à faire. Il faut réfléchir et cela prend du temps. L’espace entre réception et réaction s’agrandit. A l’extrême limite, ce temps devient infiniment long : c’est la réflexion pure. L’action ne donne plus lieu à réaction, le schème sensori-moteur est brisé. Il s’agit là de deux moments extrêmes et le fonctionnement du cerveau oscille en permanence entre les deux. Le temps disponible pour la réflexion est contraint par l’urgence de l’action/réaction.( extrait d’un article d’encyclopédie)

Comme on le constate, la pensée est directement liée au réflexe qui est dépendant de la mémoire laquelle a emmagasinée sous forme d’habitude des réflexes anciens comme autant de réponses stockées. La réflexion s’analyse comme un écart dans le temps entre l’action et la réaction. La caractéristique de la pensée proprement dite est de se détacher de l’immédiateté du réflexe, de mettre une distance entre la situation externe et elle-même, de se détacher du monde pour accéder à une liberté qui est séparation, éloignement du réel brut.

La pensée, dans l’économie générale du monde et comme complexification du système nerveux, apparaît n’être qu’un des prolongements des modalités de motricité et d’action du règne des vivants dans le processus bien connu de l’évolution dans lequel on ne saurait distinguer l’inerte de l’actif : tout procède du mouvement général de la matière. Voilà pourquoi, l’émergence de la conscience n’apparaît pas comme un phénomène particulièrement inouï ou surprenant.

2- Eternité de l’Esprit et temporalité de l’esprit

L’hypothèse ici retenue est le caractère nécessairement répétitif de l’Esprit qui doit paraître toujours lorsque les conditions sont réunies.

L’esprit est l’incarnation de L’Esprit dans un corps et cette occurrence n’est pas réservée à notre seule humanité terrestre dotée, elle, d’une conscience ou d’un cogito. Il est directement tributaire de la matière dont il émerge par la complexification d’une fonction primaire à l’œuvre dans la matérialité à savoir la réaction et l’action. Si l’Esprit procède de la matière que le précède, s’il est soumis au temps, à la naissance et à la disparition, au mouvement et donc au principe d’évolution, il n’y a aucune raison de penser que cette « fonction universelle » puisse échapper au cycle et, qu’à l’instar de la matière, il ne puisse indéfiniment naître, disparaître et renaître. Aucune preuve ne peut en effet être apportée de l’unicité et de l’exceptionnalité de son incarnation dans une conscience qui est celle des humains. La quantité de mondes que possède l’univers étant infinie, l’éternité étant son lot, on ne saurait arguer des conditions improbables devant être réunies pour justifier l’unicité de cette conscience de Terriens. Et, comme à l’époque de l’astronomie les humains croyait que la Terre était au centre du monde, il est tout aussi illusoire de croire que l’humanité est seule et unique incarnation de l’Esprit (il s’agirait d’une nouvelle version de la Terre comme centre de l’univers et de l’homme élu des Dieux)

Et en effet, la brève temporalité des humains ne saurait rivaliser avec l’infinité de l’éternité car l’univers dispose de « tout son temps » pour que les conditions d’émergence d’une nouvelle conscience soient à nouveau réunies. Il serait présomptueux que l’homme s’imagine la seule créature pensante ayant existé ou pouvant exister dans le même temps dans d’autres mondes ou devant advenir à nouveau, ailleurs, après sa disparition.

Il importe consécutivement de distinguer L’Esprit de la conscience (ou esprit sans majuscule). L’Esprit est une fonction de l’Univers qui trouve son origine dans le rapport de communication entre étants de la matérialité dont il est la création la plus complexe. Il peut s’incarner en une conscience habitant tel ou tel monde. Mais, sachant que l’Esprit est soumis au cycle de sa réincarnation et répétition, il apparaît alors dans son principe comme éternelle répétition et participe ainsi aux essences éternelles.

Ainsi, le corps existe mais il n’en peut être de même pour l’Esprit dont la caractéristique est de ne pas être substance. C’est l’existence du corps qui donne à la conscience la possibilité d’être comme fonction immatérielle et il ne saurait exister au sens d’un étant matériel. C’est si vrai que lorsque le corps meurt, la conscience disparaît avec lui. Dès lors, le fait d’exister précède toujours le constat de l’existence et peut tout aussi bien s’en passer. Si le fait brut de l’univers peut se passer du constat de sa présence à l’inverse, ce constat ne peut se détacher du fait de l’univers qu’il suppose préalablement.

Ceci a pour conséquence que l’Esprit a toujours un lien de postériorité avec la matérialité. Aussi, s’il nous est interdit d’accepter la thèse d’un parution ex nihilo d’un univers qui est éternel et incréé, sommes-nous autorisés au contraire à affirmer la nécessaire naissance de l’Esprit comme provenant d’un autre que lui-même, de ce qu’on pourrait considérer comme un changement d’état de la matière : l’Esprit bien que procédant d’un Univers éternel ne l’est pas lui-même, la temporalité est son propre, il est soumis à une naissance et une mort, son corps-support peut être et disparaître. Ainsi, apparaît-il à l’évidence que l’esprit ne suit pas nécessairement le destin de la matière, que celle-ci le précède dans l’ordre temporel et qu’il peut disparaître en même temps que les corps sans que rien ne soit changé à l’être-là éternel de l’univers.

Cette thèse d’un déterminisme strict de l’Esprit recherchant toujours, en toute éternité, les conditions de son incarnation dans une conscience est largement récusée aujourd’hui par la science, les recherches faisant une large part au hasard, à la venue initiale d’un évènement improbable, d’un effet tout à fait secondaire dont les conséquences se déploient largement de façon imprévisible. C’est oublier que ce qui se réalise était nécessairement, et rétrospectivement contenu en germe dans les évènements précédents et que l’Esprit dispose de l’éternité pour réaliser son projet d’être. C’est oublier également que l’Esprit est une fonction plus complexe du système réflexe et qu’il était déjà présent dans le plus insignifiant organisme vivant. C’est oublier enfin que la volonté de croître et d’être constitue une tension de la nature qui tend toujours vers l’absolu de sa réalisation. Pour atteindre cet absolu, l’évolution procède au moyen d’un nombre incalculable d’essais et d’erreurs. L’advenu d’un évènement décisif, participant justement à cette loterie des possibles, d’une orientation nouvelle et viable appelée à croître grandement est donc dans l’ordre de ce mouvement général du principe d’évolution et de croissance. C’est bien évidemment rétrospectivement qu’on peut constater le SENS de l’évolution devant aboutir à l’homo sapiens sapiens et qu’on peut en déduire un déterminisme nécessaire. Or ce déterminisme, qui est celui de la poussée vitale, doit être intégré au système naturel des essais et erreurs qui est le propre du mouvement d’expansion de cette poussée de la vie. Ce déterminisme n’est pas soumis au temps, la poussée vitale dispose de tout son temps pour atteindre son absolu. Le hasard bienheureux est donc recherché dans l’exercice même de la multitude d’essais et d’erreurs pour aboutir à une forme plus parfaite, plus adaptée, pour aboutir à l’esprit de l’homme

3- EMERGENCE DE L’ESPRIT ET VOLONTE D’EXISTER

La matérialité ex-iste pour autant qu’elle se maintient selon une durée et que celle-ci est dépendante des propriétés qui définissaient les conditions de son paraître et de son être. L’essence de cette durée relève en son fond de la persistance d’une quantité énergétique soumise ou non à renouvellement plus ou moins fréquent selon les règnes (minéral, végétal, animal). L’existence de chaque étant individué relèvent des essences qui permettent leur être-là mais également de l’énergie dont ils disposent. L’énergie tout autant que les propriétés des étants sont les essences immatérielles qui permettent à l’existant d’être et sont l’être de l’étant.

Les essences, c’est-à-dire les principes immatériels qui commandent le paraître et l’être requièrent et convoquent une quantité d’énergie (sous forme de la matérialité) pour passer à l’existant. Ces essences vont tendre à réaliser le point le plus extrême de leur « projet » entendu comme l’obtention de tous leurs possibles. Chaque étant dispose d’un champ de possibles par définition non illimité à l’intérieur duquel il tendra vers son absolu. Il ne pourra le dépasser que par mutation afin que s’ouvrent d’autres possibilités d’extension. Ainsi par exemple du règne végétal limité par sa dépendance au sol et qui ne bénéficie pas de la mobilité. Son développement s’effectuera à l’intérieur de ses limites en se diversifiant à l’extrême.

Quel est alors le sens général de l’évolution et du grand mouvement du cosmos ? C’est un grand système de forces par lequel tous les étants vont tendre à réaliser au maximum leur essence. En effet, tout paraître n’est pas sui generis et suppose une appropriation d’un autre que soi. L’hélium n’aura d’autre « volonté » que de chercher à accomplir son essence par acquisition d’autres particules (passage du deuton 2 ou du lithium 3 à l’hélium 4). Tout se passe en effet comme si l’essence était potentialité d’être en attente des conditions de sa réalisation. Une fois créée par exemple, la plante va rechercher les conditions d’une meilleure croissance pour atteindre à son maximum de développement. Dès lors, les seules limites qui existent à l’extension infinie d’une espèce, sont celles de son essence qui ne lui permettent d’acquérir (et de conquérir) du toujours plus que soi. Ainsi l’hélium qui rapidement sature son champ de possibles se trouve en situation de stabilité et de complétude.

Le principe qui commande à la nature, l’Etre éternel qui s’impose aux essences particulières, est donc la volonté d’exister et de se perpétuer. Le vouloir exister apparaît de façon tautologique comme le principe qui s’impose à l’exister. Or un étant donné est soumis à la durée, à la naissance et à la mort. Mais, son essence, demeurant dans son principe en attente de réalisation, elle se donne comme infiniment reproductible selon un cycle. Celui-ci émarge dans son principe à l’éternité puisque indéfiniment renouvelable.

Ainsi en va-t-il du cycle de la matière, de la naissance des astres notamment. Le principe de reproduction doit donc relever d’une essence éternelle attaché à l’éternité de l’être-là du cosmos. Aux déterminismes qui commandent au paraître est attaché le cycle qui conduit à la reproduction du même, de l’identique essence d’une espèce. Chaque espèce d’étants dispose donc d’un mode de reproduction qui inscrit désormais son être-là comme espèce dans la durée. Cette volonté de se reproduire doit s’associer à la volonté d’être et tendre également vers son absolu. La sélection naturelle s’oppose à cette volonté de tous les étants d’accomplir leur « mission » à l’extrémité de leurs possibilités. Ce jeu de force général est consécutif au mouvement de la nature puisqu’il ne saurait avoir de mouvement sans un rapport entre une action et une résistance. Rapport de force lui-même destiné à accomplir la complexité tel qu’un étant particulier s’impose comme le point le plus extrême. Il se trouve que pour toute une série de raisons, l’homme terrien est l’espèce qui a atteint, dans notre univers connu, la plus grande complexité, c’est-à-dire qu’il est celui qui dispose de la plus grande capacité à s’approprier et à retourner à son profit la plus grande part de cette nature.

Comme on le constate, le pouvoir actuel de l’homme n’est pas redevable à sa liberté mais correspond à la mise en œuvre, au cours de son histoire, des principes et lois qui gouvernent la totalité du cosmos. Plus les espèces devenaient mobiles, plus elles devenaient prédatrices et dangereuses les unes pour les autres. Le succès de l’humain est consécutif à son aptitude supérieure à se développer dans les milieux les plus divers, à vaincre la multitude d’obstacles afin de maîtriser le plus d’étendues possibles.

Ainsi, ce désir de dépassement n’est en rien le propre de l’homme, sa caractéristique constitutive. Il ne fait que prolonger, sur le mode de l’excessivité, la volonté de puissance, de croître, de mutations, de mouvements qui constituent le fond commun de l’existant. Que le chiendent tente d’accroître son domaine en proliférant, qu’il cherche à s’adapter à de nouvelles terres ou conditions climatiques par des mutations, il ne doit pas plus être condamné ou louangé que l’homme dont l’unique souci a été de développer ses moyens d’adaptation et de survie afin de conquérir et de proliférer. L’homme est l’espèce qui a le mieux accompli le projet de la volonté de puissance qui commande au mouvement de tout l’univers. Toute philosophie qui, sous prétexte de préserver la grandeur éthique de l’homme, son élection divine, s’attacherait à établir une frontière stricte entre la matérialité, la naturalité ou l’animalité prend alors le risque de couper l’humain de ses racines, en dissimulant ses véritables mobiles. S’il ne faut pas réduire l’humain à son animalité, on ne doit pas moins considérer que les impulsions vitales essentielles structurent le comportement des hommes.

L’homme, comme espèce, ne fait que complexifier et perfectionner le langage, la gestuelle, les principes de la volonté de puissance à l’oeuvre antérieurement dans la nature. L’homo sapiens ne constitue qu’un saut dans l’évolution qui prolonge des expérimentations, des  » modes de pensée  » déjà à l’oeuvre chez les espèces moins évoluées. L’originalité de l’homme, n’est pas d’être le détenteur unique du langage, de l’Idée, mais de représenter l’espèce ayant la mieux évoluée et perfectionnée du règne vivant en développant des fonctions/facultés déjà à l’oeuvre chez d’autres espèces..(Manger, se déplacer, habiter, communiquer, conquérir, se répandre et se reproduire, penser etc.). L’éloignement n’est qu’apparent de l’origine : en remontant l’histoire naturelle de l’homme, l’évolution -l’histoire – maintient le lien entre l’homme moderne et celui de la préhistoire. Rétrospectivement l’Esprit était avant, et potentiellement dans chaque atome, dans cette logique, ce processus par lequel les éléments se combinent et se complexifient. Et l’Esprit garde en mémoire les traces de étapes de son évolution, de ses origines minérales et animales, voire une conscience enfouie de l’état d’avant la matière, d’un vide-plein, de l’éternelle immobilité.

Mais qu’est-ce que la conscience de soi sinon d’avoir à s’accomplir selon son propre projet, percevoir les constituants de son destin à l’intérieur de ses limites ? Le destin de l’hélium est de faire venir à soi les quatre particules qui l’individualisent comme élément et prêter ses propriétés aux multiples usages qui en seront fait. Le destin de l’Esprit, comme faculté d’accès aux lois de la nature, est conforme à sa constitution immatérielle, comme moment de l’âme du monde.

L’Esprit, comme projet est dès son origine en accord avec l’ordre de la création et totalement finalisé pour sa mission sans qu’on puisse y déceler un manque, une incomplétude, une inadaptation à sa fonction, une quelconque anomalie ou exceptionnalité dans son paraître. Il n’a pas plus de raison de contester la nécessité de l’Esprit ou son imperfection que de reprocher au règne végétal son inaptitude à la marche à pied. On ne saurait également considérer l’homme comme un étant parmi les autres étants afin de le destituer de sa puissance.

L’esprit de l’homme trouve tout naturellement sa raison d’être dans son être-là naturel, aussi simplement que le plus modeste des constituants de l’univers. Même ses folies, sa démesure, ses violences et souffrances, injustices et désordres, ses volontés de puissance, ses meurtres et guerres sont “ vrais “ puisque pouvant être. Mais l’Esprit n’a pas été crée, n’a pas surgit au terme d’un processus, comme projet devant rechercher sa propre finalité en lui-même, comme doté d’une anthropophagie fondamentale dans le but unique de croître pour croître sans rien devoir à « l’autre-que-lui-même ». Il reste essentiellement un être-de-nature, inséparablement destiné à accompagner le destin de l’univers dont il est l’un des éléments constitutifs : l’univers s’est donné l’Esprit de l’homme mais n’a pas attribué cet Esprit à l’homme comme sa propriété. Tout au plus peut-on parler, allégoriquement, d’usufruit, étant entendu que la récolte de l’Esprit revient dans son intégralité à l’ordre de la création.

L’homme représente une mutation opérée au sein de l’espèce animal. Mais cette mutation n’est en rien exceptionnelle ou miraculeuse: elle s’inscrit comme partie constitutive du principe d’évolution lui même tributaire du mécanisme de complexification. Ce mécanisme, nous pouvons en trouver les manifestations primaires dans les procédés d’associations particulaires, atomiques, moléculaires. L’Esprit, étant issu du processus de complexité est tout entier redevable des lois de la matérialité élémentaire.

Puisque l’Esprit EST, on peut affirmer que, rétrospectivement, la matière (l’Univers) contenait son principe. La matière accouche de l’Esprit et tel nous apparaît à posteriori son projet. Sa naissance n’est pas soumise au pur hasard, entendu comme une série d’aléas telle que sa présence paraisse exceptionnelle. L’Esprit de l’homme est l’œuvre du processus d’évolution interne à la matière et se situe à l’extrême fin de la chaîne. En conséquence l’émergence de l’Esprit est de toute éternité contenue dans l’ensemble non fini des virtualités de la matière. L’Esprit n’a pas d’autre histoire que celle de la matière dont il est issu.

Selon S. Jay Gould, «  si nous pouvions retourner à la première bactérie et recommencer tout le processus, l’évolution suivrait à peu près le même chemin. La sélection naturelle forge des organismes toujours plus efficaces qui l’emportent sur les modèles précédents. Il ne peut y avoir une infinité de solution pour aboutir à un animal bien adapté au vol, à la nage, à la course »

La vie est apparue sur la terre assez tôt mais est restée au niveau des organismes primaires, monocellulaires, pendant près de 3 milliards d’années. En quelques millions d’années, les principales formes de vie sont apparues lors de l’explosion du précambrien. Nous pouvons justement penser que cette explosion aurait pu se produire plus tardivement ou ne pas avoir lieu du tout. Mais cet argument faisant dépendre le développement de la vie sur la contingence n’est en rien convainquant. En effet, c’est la potentialité qu’a la vie complexe de se développer qui rend son principe éternel seulement soumis aux conditions de sa réalisation.

Pour comprendre son avènement, il faudrait accéder à toute l’histoire de l’Univers et dévoiler l’ensemble des lois qui le gouverne et le réglemente. Sa nécessité indubitable se justifie par la réalisation de l’un des possibles obligatoirement contenus dans les principes et lois qui déterminent les constituants fondamentaux de l’univers. L’Esprit est donc inclus dès l’origine de l’univers, dans son être éternel, comme devant nécessairement advenir et trouve dans sa présence sa justification.

Puisque existant potentiellement sans être, il “ était-sans-présence “ nous dirons à l’état de pur projet, en attente d’être des conditions de sa propre émergence. S’il avait été extrait de nulle part il n’aurait pu être car rien ne peut provenir de rien. Il fallait que sa naissance ait été contenue comme l’un des possibles prévisibles dans l’ensemble des possibles, compte tenu des conditions initiales par lesquelles il y a présence/permanence de la matière à elle-même.

Dès lors, un étant particulier – l’hélium par exemple – ne peut rencontrer son être qu’à certaines conditions d’existence : l’association de quatre particules selon les lois déterministes de la physique. L’ être-présence de l’hélium doit donc se soumettre aux conditions posées d’une part par l’existence de particules permanentes aux masses imposées, d’autre part aux exigences de son espèce propre qui veulent que l’hélium ne se composât que de quatre particules.

Les conditions de son être imposées pour son existence fixent également les bornes à son action : toutes les associations ne lui sont pas permises. Il détient des caractéristiques propres tenant à sa nature spécifique qui vont le distinguer de tous les autres éléments tout en lui interdisant de bénéficier d’autres propriétés. Mais, à chaque fois que les conditions de sa constitution comme atome seront réunies, l’être de l’hélium de virtuel deviendra réel, comme contenu dans l’ensemble des possibles de l’univers.

Le cerveau de l’homme apparaît donc comme une organisation plus complexe d’autorégulation, d’action et de réaction sur le monde caractéristique de tout individu matériel ou organique. Il est le produit d’une évolution et à ce titre son avènement relève donc de l’histoire naturelle du monde à laquelle il ne saurait s’en détacher au prétexte de quelque génialité extraordinaire, ni prétendre à un statut d’exception d’où il tirerait la tragédie de son existence.

Toute prise de conscience implique un temps d’arrêt entre le stimulus et la réaction. Dans cet entre-deux, on prend conscience (sachant que l’esprit est ancré dans le passé). On prend conscience à partir du présent et à la lumière du passé, en vue d’une réaction appropriée dans un futur proche. L’articulation du temps: passé, présent et futur se fait par l’union de l’esprit et du corps. Plus l’esprit est enfoncé dans ce passé, plus on prend conscience. Plus on est dans l’automatisme, plus on est dans le présent, dans le temps du corps. On n’est jamais que dans l’un ou dans l’autre. Mais on peut être plus dans l’un ou plus dans l’autre. Une vraie attention nécessite d’agir avec tout son corps et toute son âme. Selon Bergson, la « personne impulsive » suspend sa conscience et agit dans un automatisme.

4- Le constat d’existence, l’être de l’étant et l’estant.

L’objet brut n’est jamais connaissable par lui-même puisque, enfermé en-soi, il ne peut avoir aucune connaissance de ses propriétés internes. Toute connaissance suppose en effet que soit opérée une coupure entre le sujet et l’objet à connaître. Le savoir sur l’autre implique consécutivement le constat de son existence puisque toute information perçue signifie bien qu’un étant extérieur au sujet qui perçoit émet, d’une façon ou d’une autre, des signaux attestant sa présence et donc son existence ( ce qui suppose l’aptitude de l’organe du sujet à percevoir le signal d’existence émis). La première « conscience » de l’existence est donc dans cette capacité à recevoir des signes de l’extériorité. Tout étant qui perçoit l’autre opère une double déclaration d’existence puisque la « sensation » de l’autre certifie dans le même mouvement la réalité de soi. Le savoir de l’autre est donc certitude de soi en tant que destinataire de l’information. La déclaration d’être qui emporte dans le même temps son existence, ne peut se définir que dans une relation. Le « constat d’existence » de l’un par l’autre est immédiat dans la relation entre étants qui peuvent se connaître, l’existence de l’un étant preuve de l’existence de l’autre.

On peut seulement considérer que seul l’esprit, parvenu à un certain point de complexité, de compréhension plus vaste du monde, par le fait du dédoublement entre un je et un moi, peut constater l’existence non pas de l’espace réduit d’un champ d’action mais de l’univers en sa totalité. L’Esprit, qui est la fonction la plus complexe de la connaissance métaphysique à l’œuvre dans le jeu des étants multiples, est, par le fait même de son évolution, la fonction la plus englobante, celle qui dépasse la saisine immédiate et proche de l’autre que soi, pour dire l’être de l’étant le plus vaste et formuler le constat d’existence de la totalité de l’univers.

Le constat d’existence est consécutif à la perception et à la compréhension des étants extérieurs. Le toucher est signe par exemple de l’existence d’un autre, comme la vue certifie la présence. Dès lors plus vaste est l’étendu du savoir sur les multiplicités extérieures, plus nombreuses sont les déclarations d’être comme présence de l’étant. Cette certitude d’exister ne serait pas si on imagine un individu seul, n’ayant jamais rencontré d’humanité ou une forme quelconque de vie. Cet « homme » ne saurait même pas que la mort peut l’atteindre et n’aurait strictement aucune conscience de soi

Ainsi, le fait brut de la matérialité doit se distinguer du constat d’existence qui suppose un écart, une distance, entre la chose qui existe et cette « déclaration » d’être. Cela signifie simplement qu’un objet n’existe pas pour lui-même comme concept pour témoigner de son existence, ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas de réalité en dehors de celui-ci. Tout ce qui passe du côté du concept existait bien évidemment avant sa découverte et son transfert comme savoir métaphysique.

Le dédoublement de la conscience entre le « moi « et le « je » par lequel celle-ci constate son existence comme séparée, (à la fois interne au monde et extérieure sur le mode du concept), s’applique bien évidemment à toute l’extériorité pour constater l’existence du monde. Cette déclaration d’Etre comme présence à soi dans la conscience divisée, en fondant son « estant » sur la base de la certitude de soi, fonde dans le même mouvement l’être extérieur du réel. Si tout étant est en situation relationnelle de réaction et d’action sur l’extérieur et possède la capacité de « comprendre » le réel selon ses capacités, seul l’Esprit, comme fonction doublement séparée de la matérialité peut le saisir sur le mode de l’Etre-présent dans le concept. Mais, constater le réel n’implique pas qu’on en soit le créateur. L’Esprit qui dit le monde sous forme de concept n’en est pas l’auteur, pas plus que la plante qui « perçoit » et assimile le rayonnement solaire n’est créatrice de celui-ci.

De ce qui précède on peut déduire que si l’Univers n’a nul besoin de l’Esprit pour demeurer comme étant brut, il a recours à l’Esprit pour constater et déclarer son ex-istence comme totalité. Ainsi, l’univers brut de la matérialité peut toujours rester enfermé dans son « en-soi » en l’absence de cette fonction d’extériorité qui l’appréhende « par delà lui-même ».  Cette nécessité de l’Esprit ne peut jamais être justifiée dans l’absolu mais rétroactivement par le constat de sa présence.

On ne saurait dissocier l’être de l’existence de l’étant. L’estant signifie alors qu’un étant est présence car constitué par des essences qui agencent les modalités d’être de sa matérialité ou corporéité. Cette présence est alors « déclaration d’être » par l’esprit et pour l’esprit sur le mode du concept qui est son propre.

Le fait d’Etre est totalement indépendant de la déclaration d’existence qui est le propre de l’esprit. De ceci il est résulte que l’esprit ne peut jamais être dans le même temps que la matière, celle-ci le précède toujours. Il apparaît donc justifié qu’il y eut des temps et des mondes sans conscience, un avant de la conscience et qu’il y aura des temps et un Univers sans conscience humaine.

Poser l’existence de l’univers comme préalable se justifie d’autant plus que celui-ci doit être antérieur la conscience : il ne saurait y avoir de pensée sans que l’univers lui préexiste. Dans l’ordre de l’évolution la nature précède l’esprit ; l’acte de compréhension est toujours ré-fléxion à partir d’un donné qui est supposé sinon antérieur, pour le moins contemporain à la fonction qui l’enregistre. Pour qu’il y ait perception, compréhension, analyse, il faut que l’objet observé soit là, qu’il se donne pour existant.

Ainsi, à l’inverse du cogito cartésien, on ne cherchera pas à fonder « l’il y a de la pensée » par la certitude d’une conscience qui se pense elle-même, mais à partir de la nécessité de l’être là séparé  du monde. Cela suppose bien évidemment acceptée la séparation sujet/objet comme un préalable nécessaire et la capacité acquise de la conscience d’appréhender son extériorité sur le mode de la pensée. (Ces points seront développés ultérieurement).

La recherche d’un fondement premier de l’esprit suppose toujours l’existence antérieure du fondement de sorte que celui-ci se trouve toujours déjà fondé. Il parait donc impossible a priori de sortir de ce cercle herméneutique, sauf à constater que c’est le dédoublement lui-même je/moi qui est l’acte initial et que le fondement se trouve dans la différence, le processus de différenciation. Certes, la pensée ne peut pas créer son propre principe par lequel la séparation entre un extérieur et un intérieur rend cette pensée possible. Nous avons vu que ce principe par lequel matérialité et immatérialité, matière et essence sont séparées procède de l’ordre fondamental et essentiel du cosmos. La mise en œuvre de cette différence permet l’auto constitution de l’esprit au cours de son histoire évolutive. Consécutivement, si l’esprit ne peut fonder le principe universel de la différence, celle-ci l’autorise à se construire lui-même. Une étape de cette évolution consiste justement à découvrir ce principe premier de l’organisation du cosmos et la pensée comprendra d’autant mieux son origine qu’elle en sera plus éloignée et en conséquence plus « savante » bien que, dans son essence, elle ne soit pas susceptible d’un progrès. L’esprit peut dévoiler que La « fonction de connaissance » est de toute éternité et qu’elle ne fait que déployer cette essence en de multiple étants dont celui de l’esprit de l’homme.

L’absolu du savoir doit se différencier de la pensée comme absolu. La pensée comme absolu est immédiatement elle-même sans histoire proprement dite car elle se trouve toujours contenu dans le principe de la différence entre l’univers de la pure matérialité et les essences qui l’organisent et que la pensée a pour charge de comprendre pour l’Esprit. Il y a seulement une histoire du savoir pour une humanité donnée qui résulte de la mise en œuvre de la pensée en tant que fonction de compréhension. Il ne peut y avoir de naissance de l’esprit, mais simplement déploiement de celui-ci dans et par le savoir. Il faudrait en quelque sorte différencier l’organe et sa fonction du résultat de son travail, des produits, de sa récolte, qui en même temps améliore, perfectionne l’organe lui-même sans jamais pouvoir en changer sa nature propre qui est de capter les essences du monde afin d’accroître le savoir sur celui-ci.

Alors, s’agit-il de célébrer sur le mode religieux ou poétique ce « don »de la pensée différenciante fait par la nature à l’homme ? Plus largement sans doute faut-il s’émerveiller de l’ordre général du monde dont la matérialité fonctionne sur le mode de la séparation entre substance et essence.

étant→substance/brute

Matière/énergie + essence → concept → Existence (Etre-là, Estant)