3 : Mouvement et évolution

1- Nécessité de l’évolution

Un univers où Rien ne se transformerait suppose une absence totale de mouvement, une inertie fondamentale, chaque étant demeurerait identique à lui-même de toute éternité. A l’inverse, un univers où tout serait nouveau ne serait régi par aucun principe de stabilité et connaîtrait un perpétuel et radical devenir. A l’extrême limite un tel monde suppose la non reproduction à l’identique des objets, la totalité des composés de l’univers subissant à chaque production un changement, une différenciation radicale entre l’étant actuel et son précédent.

A l’évidence, pour qu’un monde se maintienne et  soit en mouvement, il faut que ses principes d’existence concilient stabilité et changement, reproduction à l’identique et évolution.

L’état d’inertie absolue où rien ne se transforme est celui de l’espace substance ;  L’état où temps et mouvement s’activent est celui de la matérialité. C’est leur différentiel (et déséquilibre) qui permet le passage de l’inertie au mouvement.

Sur ce premier niveau du rapport entre inertie et mouvement se superpose celui de la matérialité active qui doit concilier également permanence dans son être et possibilité d’évolution.

La reproduction à l’identique base de la stabilité primordiale c’est la production des 3+1 particules élémentaires. Cela aboutit au tableau de Mendeleïev de 94 atomes fondamentaux qui représentent une autre base de stabilité. La complexité s’installe très vite quand augmente le nombre d’éléments pouvant se combiner. Cette complexité étant de moins en moins déterminable, les phénomènes aléatoires entrent en jeu à mesure que le nombre de combinaisons possibles s’élève. L’évolution – la non reproduction à l’identique -  est ainsi inscrite dans le processus de complexité car le champ des possibles s’ouvre à l’infini.

Le principe d’évolution suppose la non reproduction à l’identique qui implique la différenciation. La « différence » est la manifestation concrète de l’évolution puisque l’identité n’est plus stricte entre l’étant d’avant et celui surgit. A mesure que la quantité d’étants augmente, la distinction entre l’identique et le différent devient une affaire de degrés  et de choix d’une catégorie de classification. En effet, la qualification du différent suppose de déterminer la nouveauté relativement à une identité antérieure.

Ainsi la différence entre deux électrons portera uniquement sur la propriété spatiale. Les différentes espèces du règne du vivant peuvent être classées à partir d’une de leurs propriétés communes pour ensuite déployer leur identité spécifique.. A noter cependant que le principe évolution ne saurait concerner les propriétés spatiales et temporelles qui sont justement les conditions « d’accueil » des étants et ne sauraient elles-mêmes évoluer. L’évolution est mouvement et transformation d’un corps dans le temps et l’espace.

Le principe d’évolution implique qu’un étant ne saurait éternellement demeurer invariable  puisque soumis à l’action du temps et aux rapports avec les autres corps. Il suppose également de déterminer l’intensité et la fréquence de ces changements. L’intensité d’une évolution peut concerner tout ou partie de la substance et/ou des propriétés qui, rassemblés, définissent l’identité d’un objet. Cette évolution devient transformation radicale lorsque nous assistons à un changement d’état aboutissant à la dispersion des éléments constitutifs (annihilation/mort) où à leur transformation. L’évolution peut être plus ou moins fréquente (mutations génétiques) ou plus rare et très longue (règne minéral). Elle est intimement liée au temps et comporte par conséquent des périodes de stagnation, de ruptures brusques, voire des retours en arrière.

Il importe alors de différencier changement et évolution. Tous les étants subissent des changements selon des durées plus ou moins longues (usure du minéral, croissance et cycle des plantes, vieillissement du vivant.)

Le changement ne concerne pas seulement le règne vivant mais la totalité des étants, selon des rythmes différents. Ainsi, dans l’astrogenèse, puisque à partir d’un même procédé créatif (existence d’un cœur photonique, voir partie cosmophysique) il va exister des astres de masse et de destin différents dont « l’évolution» va dépendre pour partie de leur « essence » constitutive mais également des rapports avec leur environnement.

L’évolution proprement dite concernera essentiellement la nouveauté, l’apparition d’un caractère ou d’un étant nouveau qui ne relève pas du cycle de la répétition et qui enrichit la création. L’évolution est donc non reproduction à l’identique, apparition du surprenant ou du jamais vu. Elle concernera principalement le vivant et le végétal et consécutivement l’homme tout à la fois dans sa physiologie et dans ses rapports à son extérieur (nature, société). Toute l’histoire humaine sera soumise à l’évolution, conciliant  répétition et changements lents ou brusques mutations.

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Il importe également de distinguer évolution et progrès. L’apparition du « nouveau » ne signifie nullement progrès (en quoi la bombe atomique est-elle un progrès ?) mais qu’il y a eu résolution d’un problème par une réponse nouvelle. En effet, il ne peut y avoir de solution nouvelle si auparavant n’existait pas un problème, une difficulté. Ainsi par exemple l’agriculture est-elle née (entre autres causes) de la volonté de sédentarisation et de la raréfaction des ressources « spontanées », de même que l’élevage. Il n’y a pas de mutation qui réussisse si celle-ci n’est pas apte à s’adapter à des conditions extérieures nouvelles, et nombre d’évolutions constituent une réponse aux changements d’un milieu. L’histoire humaine comme évolution, celle du savoir, est une succession de réponses aux problèmes, obstacles, défis que l’homme a rencontrés ou qu’il se posait à lui-même.Cependant toute nouveauté n’est pas nécessairement utile et doit répondre à un problème ou un besoin. Ainsi, les mutations génétiques peuvent accoucher d’un organe superfétatoire comme nous rencontrons nombre de créations humaines sans utilité véritable, le critère de l’utilité supposant d’avoir à nous référer à un système de valeurs anthropocentrique et nullement objectif.

2 – Le premier sens général de l’évolution

Pour que l’organique s’installe, cela suppose que l’astre d’accueil présente toutes les conditions pour amorcer le développement du végétal et du vivant.

Il existe donc une évolution générale et linéaire qui, partant de la prématière aboutit au vivant en passant par le minéral et le végétal. Ce mouvement peut s’analyser comme celui qui, s’originant du plus inerte et informe, aboutit au plus vivant, distinct, autonome et auto-mobile.

Comme on le constate, on rencontre effectivement une « finalité » et plus exactement une orientation générale de l’évolution qui n’est donc pas soumise au pur hasard mais comporte des étapes nécessaires, l’état évolué dépendant totalement de l’état antérieur. Il y a donc un premier SENS au mouvement de l’univers qui tend vers le négatif extrême de son état initial : du totalement continu et inactif (substance de l’espace) vers des individualités distinctes de plus en plus discontinues, indépendantes et surtout mobiles.

Si le champ des possibles de la vie semble illimité il ne sera pas pour autant rempli car les propriétés physico-chimiques imposent des contraintes. Toutes les combinaisons de molécules ne sont pas réalisables puisque déterminées par les lois internes et les restrictions du milieu. Ainsi, toutes les conformations que l’on peut envisager en théorie d’une protéine ne sont pas concrétisables de même que les occurrences multiples des acides aminés.

1) L’évolution stricto sensu ne peut concerner qu’un étant catégorisé avec des propriétés qui le définissent et le distinguent et qui demeurent invariables. En effet, une mutation ne peut se comprendre que par différenciation entre l’avant et l’après, ce qui suppose définie la partie fixe pour servir de point d’évaluation.

2) Cela est à rapprocher d’une théorie générale du mouvement. La relativité einsteinienne s’est construite en rendant inutile un point d’origine absolument fixe pour mesurer le mouvement. Nous avons une vitesse absolue, celle de la lumière, sans savoir quel est le point zéro de celle-ci, sans pouvoir déterminer un point d’absolu stabilité qui est celui d’un « départ », d’une origine à partir duquel on peut déterminer une valeur absolue d’un mouvement .Il faut se reporter au livre 1 « physique » où il est démontré que la relativité ne pouvait fixer un point d’inertie absolue de la vitesse des corps, n’étant pas parvenue à connaître les causes et contraintes imposant une vitesse limite.

3) Le changement d’état doit se différencier de la mutation en ce qu’il est beaucoup plus radical et permet d’ouvrir un champ de possibles dans une direction tout autre. On peut noter 3 grandes ruptures d’état :

1) Le passage de la prématière à l’état photonique puis à celui de matière.

2) Le passage du minéral au végétal puis au vivant

3) Le passage de l’animal à l’humain.

Mais une rupture d’état peut s’analyser également comme une mutation d’une plus grande ampleur, la frontière ne pouvant être strictement délimitée puisque l’état nouveau doit nécessairement garder certaines propriétés de l’état précédent. Ainsi l’humain possède nombre de caractères de l’animalité quant au  minéral il est matière et celle-ci est intégralement constituée de prématière.Il existe cependant des zones floues de transition comme entre le minéral, le végétal et le vivant, comme entre la prématière et la matière qui est l’état photonique.

3- L’évolution et la vie : finalités de l’existant

(Bien que la « vie » soit liée à tout étant en mouvement selon une durée, nous réserverons ce terme aux étants organiques (végétal et vivant proprement dits))

L’univers possède une force, une poussée vitale illimitée qui cherche toujours à s’appliquer, à dépasser l’existant  en produisant souvent des œuvres stériles voire en annihilant certaines qui furent le produit d’intenses activités.

L’être vivant n’est qu’un passage et  la vie est définissable dans le mouvement qui la transmet. Chacune des espèces tend à s’installer dans un « confort d’être » et recherche la moindre peine, la plus facile exploitation de son entourage immédiat mais aussi le plus de puissance. La finalité de la de vie est d’exprimer cette puissance dans la durée. (Ceci est à rapprocher des principes du mouvement par lesquels chaque énergie détenue cherche son accomplissement dans l’absolu). Chaque étant s’efforce de persévérer dans son être. Il n’y a pas d’autre finalité à l’existant que de vouloir être, de croître et de demeurer dans son être. C’est une poussée vitale incoercible, une obstination à paraître et à durer, une puissance sans limite de l’Etre.

Le suicide est très rare dans l’espèce animale. Paradoxalement, il représente une des variantes de la volonté de puissance chez les humains qui détiennent ainsi un pouvoir de désobéissance sur les lois de la nature.

La thèse présentée ici s’inspire d’un vitalisme concret qui détermine les processus physico-chimiques. La poussée vitale est avant tout conditionnée par un principe énergétique qui trouve son origine dans le mouvement de la matière qui tend à s’assembler et se disjoindre selon certaines lois physiques. Le principe vital n’est pas un fluide abstrait, un mouvement télécommandé par une instance transcendante quelconque. Il est continuation des lois qui gouvernent le mouvement de la matière tel que nous trouvons une ligne vectorisée et non sécable entre la création de matière et le vivant.

Que la finalité de la vie soit la vie, cette définition tautologique relève d’une évidence qui doit s’accepter comme vérité première et fondatrice. On ne peut reprocher au vivant, à tout étant, de vouloir être, puisque l’être-là est constamment entretenu par son « vouloir être ». Mais,  cette finalité, ce sens primaire de tout l’existant, ne peut aucunement signifier que la nature veut tel ou tel étant, telle ou telle espèce. Le projet du cosmos est de faire être selon certaines procédures, mais jamais de créer un étant particulier selon des fins précises. L’univers n’a pas de but «réfléchi », ce qui supposerait une capacité d’anticipation de l’avenir, une distanciation dans le temps: l’univers a une mémoire (l’accumulation) mais pas d’avenir, il est immédiatement et totalement présent absolu. Cette mémoire conditionne un certain grand nombre d’avenirs mais pas tous les types. On ne peut déceler aucun projet préconçu, sauf à constater le jeu largement ouvert, dans certaines limites, des lois physico-chimiques.

Aussi, chaque étant et chaque espèce exprime ce vouloir vivre cosmique, naturel, et se trouve en plein accord avec la finalité première de l’univers lorsqu’il assure son existant. De cette finalité fondatrice, on peut en déduire un but second, comme conséquence immédiate : l’évolution a pour but  de permettre à un étant d’acquérir le maximum de puissance pour être, demeurer, proliférer. Cette impulsion vitale, nous la nommerons « volonté de puissance » sans donner à cette expression un caractère impérial mais bien plutôt énergétique.

Chaque étant créé s’efforce d’accomplir au mieux sa volonté d’être et de croître, ce qui implique tout à la fois de rechercher les mutations et solutions lui permettant d’exprimer son vouloir être et de s’adapter aux évolutions du milieu. Il est certain que plus un être quelconque disposera de réponses complexes et diversifiées, plus longue sera sa survie, plus adaptée sera sa descendance, plus nombreuse celle-ci, plus complète sa « domination » sur les autres étants ou espèces.

1) La volonté d’être ou volonté de puissance ne doit pas nécessairement se penser sur le mode négatif de la lutte tel qu’une certaine acception du darwinisme peut le laisser entendre. La « lutte pour la vie » ne suppose pas obligatoirement la suppression de l’autre, le dépassement du négatif tel qu’on peut le comprendre dans la dialectique hégélienne. On pourrait y substituer l’expression d’ « affairement pour la vie » où se rencontre une opposition externe à être, mais celle-ci peut être contournée, relativisée, réduite ou utilisée avec profit. Dans l’affairement pour la vie nous retrouvons aussi des modes de coopération entre espèces, des calculs d’intérêt, des compromis passés avec l’opposition. Ces contournements, collaborations, compromis existent tout autant dans le règne végétal qu’animal. Nous dirons que la ruse et le calcul participent de la volonté de puissance mise au service du désir de croître et de se perpétuer.

Il est à noter par ailleurs que la sélection des espèces peut s’effectuer naturellement sans lutte entre elles puisque en cas d’évolution d’un écosystème, il peut se trouver qu’une espèce ne soit plus adaptée. Mais, s’agissant de  l’humanité, on peut dire que l’aboutissement de sa volonté de puissance a conduit à modifier l’écosystème à son profit, ce qui a conduit directement ou indirectement à la disparition de nombre d’espèces animales ou végétales.

2) Des modes d’autorégulations des naissances peuvent se rencontrer chez certaines espèces animales mais le fait qu’ils n’existent pas chez toute laisse ouverte la possibilité d’une prolifération « naturelle » d’une espèce qui va tendre à dominer et à éliminer les autres. Le règne actuel de l’humain n’est donc pas une surprise ni un effet de sa perverse volonté coloniale, mais répond à une sorte de diktat de la nature auquel l’homme a plus obéi qu’il ne l’a voulu.

4- Evolution du vivant et sélection naturelle

Les variations et mutations génétiques ne répondent à aucun plan préétabli, elles sont le fait, pour une grande part, du hasard. Elles peuvent aller dans de nombfreuses directions et susciter toutes sortes d’espèces ou d’organes. Il se trouve même que certains d’entre elles ne jouent aucun rôle pour la survie ou ne sont pas consécutives aux nécessités de l’adaptation. Comme le système génétique constitue une structure intégrée comportant des interdépendances entre fonctions, des changements adaptatifs dans un élément peuvent entraîner des modifications sans aucune  utilité. Inversement, un organe sélectionné dans un but précis peut avoir bien d’autres usages que celui de sa finalité initiale. Le mécanisme du hasard ainsi à l’œuvre, a pu laisser penser que la nature n’avait aucun plan, aucune direction privilégiée et que l’homme aurait tout aussi bien ne pas être si une série de causes fortuites n’avait pas joué en sa faveur. Il serait en effet trop aisé, en constatant le résultat de l’évolution du vivant, de déclarer, à posteriori, que l’humain était nécessaire.

Or si les mutations ne répondent à aucune logique rationnelle, il ne peut en être de même de la sélection naturelle puisque celle-ci possède un plan et une direction bien établis : elle choisit les mutations les plus adaptées aux défis présents ou futurs de l’environnement que l’espèce aura à affronter. Le vivant quant à lui n’a qu’une seule orientation tenace et obtuse : le vouloir vivre et consécutivement se reproduire, proliférer.

Cette tension vitale va constamment être confrontée aux conditions de l’environnement et la sélection naturelle sera l’opérateur et l’instrument chargé d’accomplir le projet du vivant en imposant les conditions de l’adaptation. Ce processus répond à une sorte de logique évidente : pour être, il faut qu’un vivant quelconque possède les qualités nécessaires pour assurer son existence. La sélection naturelle n’est donc pas une loi cruelle et implacable dont on pourrait imaginer sa disparition dans un monde lointain plus parfait. Elle est une condition absolument impérative et consubstantielle à l’émergence de la vie. La parution de la vie sans sélection n’aurait en effet aucun sens car impliquant que toutes le formes, toutes les mutations les plus saugrenues soient immédiatement adaptées, qu’elles possèdent ipso facto les qualités pour s’installer dans n’importe quel type d’environnement où elles trouveraient à leur disposition tous les moyens de leur subsistance.

Si les mutations sont désordonnées et fantaisistes, la sélection intervient pour en canaliser et en orienter le sens dans le seul but de s’assurer que les organes ou les espèces nouvelles répondent à la finalité du vivant qui est de vivre. Il s’agit de mettre en œuvre le vouloir vivre en posant à l’existant les conditions qui lui sont, par définition, extérieures. L’adaptation du vivant aux contraintes de son environnement est donc exigée pour que la vie puisse accomplir son projet d’être.

La finalité de la sélection naturelle n’est donc pas, comme on peut en juger à première vue, une loi qui s’oppose au déploiement de la multiplicité des êtres, mais constitue en son fond l’instrument que la vie se donne à elle-même pour subsister et se perpétuer. Devant le désordre des mutations, la sélection assure l’ordre et la sécurité de l’avenir des espèces. Si l’évolution-mutation stricto sensu n’a d’autre finalité que d’exprimer le mouvement pur de l’énergie vitale à travers diverses formes, la sélection a pour mission de contrôler qu’un nouvel organe ou  une espèce sont les mieux adaptés à un milieu déterminé et à ses éventuelles transformations.

Aussi, l’histoire de l’évolution est fondamentalement celle de la sélection naturelle qui lui donne seule son SENS : sélectionner les espèces les mieux adaptées à un moment donné de l’état de l’environnement.  Ce choix des fonctions les plus aptes ne signifie nullement  que le critère retenu soit à chaque fois l’efficacité et l’utilité puisqu’on a pu constater la persistance d’organes désuets voire superflus et le chemin parcouru pour aboutir à telle ou telle création est rarement le plus court, le plus rationnel. La sélection n’opère que sur ce qui est strictement nécessaire à la survie et peut laisser libre cours à l’imaginaire aléatoire des mutations pour créer toutes sortes de formes et d’organes plus ou moins fonctionnels ou actifs : il n’y a pas de lien strict entre sélection naturelle et utilité. Nous somme au cœur de la tautologie du vivant : la justification de la présence de telle ou telle espèce, c’est qu’elle EST car elle a pu être et  peut donc demeurer et se reproduire. Sa présence légitime son existence.

La poussée du vivant s’est traduite par une multitude d’espèces consécutive à une série de variations et mutations. Toutes sont à la recherche de la plus parfaite adaptation pour durer et proliférer.  La compétition entre espèces est ainsi le résultat du principe de mutations génétiques par lequel le vivant cherche à se multiplier en diversifiant aléatoirement les formes et les fonctions.

La sélection naturelle doit donc opérer sur un double front : contrôler que l’espèce nouvelle s’adapte à son environnement physique et opérer une élimination des vivants les moins aptes à se défendre et à conquérir de nouveaux territoires de subsistance. Cette lutte entre espèces mais aussi interne à un groupe, n’est pas systématique ni généralisée mais se rencontre dans des niches écologiques de compétition, alors même que d’autres vivants peuvent subsister « en paix » dans leur espace spécifique. De même, on rencontre des collaborations nombreuses au sein d’un même groupe ou entre espèces, ce qui fait de la lutte n’est pas loi absolue qui gouverne le vivant.

Cependant, la sélection naturelle portant à la fois sur l’adaptation environnementale et sur la compétition entre vivants comporte en son principe la possibilité d’un raffinement toujours plus poussé de l’adaptation et de la puissance d’action Elle doit conduire logiquement à susciter une espèce qui aura, durant son parcours historique, affronté toutes les épreuves sélectives. Ce « recrutement » du plus parfait compétiteur n’est nullement soumis à un calendrier de réalisation, il constitue un terme à la poussée vitale qui dispose de tout son temps pour y aboutir en essayant toutes les combinaisons possibles -  ce qui peut laisse croire que cette finalité est laissée au simple hasard.

Le jeu conjugué des mutations et de la sélection du plus apte doit aboutir toujours et logiquement à la parution de l’être vivant qui aura le mieux accompli le projet de la nature qui est de s’adapter pour survivre et proliférer, concentrant en lui la volonté de puissance qui est volonté de vie poussée à chaque fois à son extrémité ultime dans un écosystème donné.

Aussi, peut-on affirmer sans détour que l’homme est l’aboutissement logique et provisoire du projet de la nature vers lequel celle-ci tendait opiniâtrement à travers une infinité d’essais et d’erreurs,  les hasards des mutations. Aussi, peut-on dire sans sourciller que l’histoire de l’évolution du vivant contenait dés l’origine les principes et moyens devant aboutir à l’être le plus perfectionné pour répondre aux conditions de l’adaptation, de la lutte entre espèces, pour la conquête et le retournement à son profit des étants.

Enfin, peut-on dire sans se tromper que l’histoire a un sens, quelle est vectorisée grâce au jeu conjugué des mutations génétiques plus ou moins hasardeuses et au rôle de contrôle complémentaire de la sélection naturelle qui a pour charge de maintenir fortement une tension sélective n’ayant qu’une seule finalité : porter au plus haut le vouloir vivre naturel en ne retenant que les plus aptes à se conformer à cette finalité première: vivre et assurer sa descendance.

Il ne s’agit pas d’un projet « conscient » tel que la nature veut l’individu le plus perfectionné, mais cette finalité résulte de la permanence de principes strictes, applicables à  tout existant où la condition tautologique pour vivre est d’être apte à surmonter toutes les contraintes du réel, ce qui suppose que le hasard des mutations s’affronte au réalisme de la sélection, et que soient conciliés contingence et déterminisme.

5 – Principe d’action et de réaction : le rapport de forces et lutte pour l’existence.

Tout existant est dans une situation d’action et de réaction par rapport à un milieu. Le repos, la paix,  c’est un état ou s’équilibrent les forces d’action et de résistance. Ce rapport de forces engendre ceci comme conséquence que le repos n’est jamais qu’une situation provisoire et que le déséquilibre est à l’origine du mouvement. Ce déséquilibre est produit par l’excès d’une force sur une autre. Toute force tend à réaliser son absolu pour atteindre sa limite. Tout étant va tendre également à atteindre cet absolu autorisé par son essence. La volonté d’être, de croître, de se développer est toute entière dépendante de ce principe vital essentiel. Il est donc « naturel » qu’il n’y ait d’autre résistance à une puissance qu’une puissance contraire.

Par définition, un individu doit posséder les conditions de son passage à l’existant et disposer de moyens adaptés pour sa survie et reproduction s’il s’agit d’une espèce organique. A contrario, s’il ne dispose pas de ces conditions pour être ou subsister, il ne paraît pas ou finit par disparaître. La « lutte » pour la vie n’est pas a priori un principe de compétition mais est corrélative aux nécessités intrinsèques de l’existence. Par lutte, il ne faut pas entendre un combat guerrier mais plutôt l’effort, la volonté tendue vers un but. Lutter pour son existence signifie qu’un individu doit posséder ou trouver (par l’adaptation) les moyens de sa survie et son développement. Celui dont l’essence constitutive ne le prédispose pas à l’insertion dans un milieu ou qui n’évolue plus en conformité, est donc condamné à disparaître.

Ce darwinisme de base est un principe d’évidence qui conduit à l’élimination des espèces inadaptées. Ainsi, l’effort pour la vie précède-t-il la lutte des espèces pour la survie dont elle peut être séparée (un individu peut être inadapté à un milieu naturel sans pour autant avoir un prédateur). De même, la lutte des espèces ne les concernerait pas toutes, chacune opérant dans sa niche écologique en toute sérénité et complétude : au principe de concurrence peut s’opposer celui de complémentarité ou d’indifférence. On ne voit pas par exemple en quoi les baleines seraient en lutte contre les girafes et réciproquement.

Il serait moralement satisfaisant de n’y voir aucune hiérarchie, la nature traitant avec une stricte égalité « républicaine » chaque objet de sa création. Cependant, l’inégalité est inéluctable car la diversité du vivant a pour conséquence  une hiérarchie des puissances, dont nous voyons bien la manifestation aujourd’hui dans le traitement de la nature et des animaux par l’homme. (Cependant, l’homme n’est pas contraint de se conformer à cette inégalité naturelle – tout au contraire- sa mission éthique lui imposerait d’autres obligations – voir les chapitres  suivants).

Ce qui commande à l’évolution ce n’est pas la négativité au sens de ce qui doit être nié pour réaliser une synthèse supérieure mais la rencontre d’une difficulté, d’un obstacle en tant qu’ils posent un problème nouveau à résoudre. Il se peut même qu’une opposition directe ne soit par affrontée mais contournée. Si le négatif est par exemple la raréfaction des ressources dans un espace donné, la solution sera soit technique (productivité supérieure des cultures) soit la transhumance, la conquête de nouveaux territoires.

La négativité, en tant que force contraire à l’exercice d’une puissance demeure constamment présente comme contrepartie d’une force. Elle ne saurait en aucun cas être dépassée, niée, mais simplement soumise à une pression supérieure qui la fera seulement reculer ou à une  pression égale qui maintiendra l’équilibre. La vie  est dans cet équilibre entre les forces qui poussent à la destruction et celles qui y résistent, entre les puissances de vie et  de mort.

6 – L’évolution comme développement arborescent.

L’évolution est commandée par une finalité qui dérive de la stricte application de l’ensemble des principes fondamentaux de tout l’existant. Celle-ci n’est pas absolument linéaire mais procède par essais successifs. Ce caractère hésitant, aléatoire, anarchique du mouvement général de la nature peut laisser croire que n’est dissimulé aucun projet, aucune finalité et que seul le hasard gouverne l’évolution.

Consécutivement, le schéma de tout développement, de toute évolution, est celui de l’arborescence, de la multiplication des orientations possibles à partir d’une unité fondatrice qui se ramifie. Ainsi, la base de la matérialité comporte deux orientations, végétal et animal avec toutes les modalités transitoires entre les trois règnes. Pour chacun de ces règnes, de multiples branches vont surgir et chaque étant sera animé par un même principe vital de développement et d’adaptation au milieu.

Par définition, ce développement ne sera pas égal, continu, régulier, linéaire puisque les propriétés par lesquelles les étants se diversifient ne sont pas les mêmes. Il en résultera qu’une même lignée comportera des êtres en stagnation, régression ou disparus et d’autres au contraire en croissance.

L’arbre généalogique des primates est d’une diversité extrême et nous renseigne sur les multiples tentatives de la nature  qui semblait rechercher, à partir de ce tronc primaire commun, la forme la plus accomplie du projet « naturel » de l’adaptation. 30 millions d’années depuis l’apparition des premiers primates puis des bipèdes ont été nécessaires pour déployer cette diversité généalogique devant aboutir à l’homme. On peut très bien imaginer que l’homme ait raté son embranchement, que le hasard ne lui fut pas propice à l’époque où justement il surgit. La parution de l’humain aurait été simplement reculée par exemple de 30 ou 100 millions d’années, l’évolution n’étant pas soumise au temps pour reproduire à l’infini ses tentatives, ses essais et erreurs.

Le mouvement naturel repose sur deux principes à la fois divergents et complémentaires : l’association par captation d’éléments externes pour constituer une nouvelle unité/étant, par définition plus complexe et la dissociation d’une unité afin d’engendrer une multiplication de celle-ci (division cellulaire).

(le nombre est déjà principe de complexité, même si l’essence, le principe qui gouverne l’association demeure simple. Par ailleurs, il peut y avoir des vivants très complexes structurellement sans que pour autant ils aient pu développer les organes et instruments spécifiques de la puissance d’action)

L’erreur serait de croire que l’évolution procède par perfectionnement successif d’un même organisme comme un empilement continu de propriétés nouvelles. Ainsi, le végétal, l’animal et l’humain procèdent bien d’un « fond » commun à partir duquel les branches naissantes divergent et connaissent une évolution/progrès autonome, sans plus se rapporter les unes aux autres pour ce qui concerne leur propre développement. Cette indépendance a pour conséquence qu’une branche ne dépend pas d’une autre pour se développer – elle accomplit seule son essence – ce qui ne veut nullement dire qu’il n’y a pas des relations de dépendance, l’une ayant besoin de l’autre pour survivre (l’animal  a besoin du végétal, mais cette relation n’est pas strictement réciproque).

S’agissant du règne animal, son principe de survie est commandé par ses moyens de défense et d’attaque qui ont pris de multiples formes. Deux armes essentielles sont à la disposition des animaux : la ruse, l’intelligence (fuite, le nombre, le piège, la dissimulation etc) et la puissance pure. L’extrême de la puissance se manifeste par celle de la taille, la monstruosité, le gigantisme. Aussi, peut-on en déduire que la finalité de la volonté de puissance dans le règne du vivant aboutit logiquement à la constitution d’animaux de plus en plus puissants et gigantesques : tel fut le cas de la préhistoire de la Terre qui a vu la domination des dinosaures et autres monstres n’ayant d’autres ennemis que leurs congénères et comme limites à leur croissance corporelle certaines contraintes physiques et biologiques.

L’existence prouvée de ces monstres de la préhistoire n’est donc pas un fait accidentel mais une conséquence logique du principe de la volonté de puissance à l’oeuvre dans la nature. Tout porte à croire qu’une espèce qui dispose des moyens de sa domination tend à croître et à proliférer au détriment des autres. Le règne des dinosaures n’aurait pu avoir qu’une fin accidentelle ou une mutation décisive des conditions extérieures, car aucun autre adversaire n’était en mesure de s’opposer à leur maîtrise.

Il est à noter qu’une troisième mode de la volonté de puissance est la capacité biologique  à proliférer par la reproduction rapide de descendances dont le nombre supplée à la faiblesse individuelle de chaque membre.

Le surgissement de l’humain, le règne de l’esprit, a donc pu dépendre d’un événement tout à fait aléatoire et l’homme aurait bien pu ne jamais être. Mais c’est oublier que la volonté de puissance naturelle dispose à côté de la force du principe d’intelligence comme moyen d’adaptation, de lutte et de défense mais aussi de la capacité à transformer son écosystème pour se soustraire à certaines de ses contraintes.  Les animaux préhistoriques représentent le point d’aboutissement  de l’évolution quant à l’exercice pure de la force, l’homme celui de l’intelligence adaptative : la nature dispose de deux voies pour atteindre ses extrêmes et notre Terre les a connu successivement. (Il est donc probable, si nous découvrons la vie sur d’autres planètes à un stade relativement évolué, que nous rencontrions ces animaux préhistoriques mais également des individus « intelligents », ce qui confirmerait que l’apparition de l’esprit est certes contingente, mais qu’il est indéniablement destiné à être l’autre but de l’évolution, l’autre manifestation du principe vital).

L’émergence de l’homo sapiens ne nous apparaît nullement hasardeuse,  hasard tel qu’il  aurait fallu une série de circonstances  favorables et inouïes  pour que la nature finisse par accoucher de l’homme. La paléontologie nous enseigne que l’homo sapiens s’est extrait de la lignée des grands singes aux multiples branches dont l’homme de Neandertal et Cro-Magnon. Ceux-ci ne surent s’adapter aux évolutions du milieu, notamment climatiques et leur branche s’est éteinte. Or leur constitution se rapprochait fort des caractères généraux de l’homme moderne. Ainsi, l’évolution exerçait comme une poussée pour créer un individu possédant le maximum de propriétés d’adaptation et de conquête du milieu (usage des mains, liberté de déplacement, alimentation omnivore etc.). Il n’est pas sûr, ce qui reste à prouver, que l’émergence de l’homo erectus n’ait eu qu’un seul lieu : l’Afrique. Confronté au même problème, le principe d’évolution peut trouver la même solution en différents lieux et consécutivement plusieurs « nurseries » de l’humain  ont pu exister.

La preuve peut en être apportée par l’existence des singes sud américains dont on explique l’origine par l’embarquement des singes d’Afrique sur des radeaux ayant dérivés pour atteindre l’Amérique. On peut douter qu’ils  possédaient la moindre compétence dans la fabrication d’embarcation les plus primaires et encore moins la capacité à « stocker » l’avenir sous forme de provisions alimentaires.

Tous les singes modernes sud-américains descendraient d’un ancêtre unique, mais celui-ci n’a pu encore être identifié. Les plus vieux fossiles exhumés (espèces des genres Branisella et Dolichocebus) datent d’environ 25 millions d’années. La convergence évolutive peut avoir joué dans un territoire aussi vaste que l’Amérique pour aboutir également aux primates et aux singes sans aucun rapport avec les singes d’afrique. L’impossibilité de découvrir l’ancêtre africain commun aux singes américains semble renforcer l’hypothèse d’une évolution indépendante.