7- Pensée, vérité, réel
L’ordre de l’enchaînement des idées est le même que l’ordre de
l’enchaînement des choses (Spinoza ,Livre 2 théorème 3)
Partant d’une situation historique de totale opacité où l’esprit n’est pas sorti de la matérialité, le savoir procède d’un double mouvement de fragmentation du réel pour l’organiser et le synthétiser dans le concept. Aussi, doit-on considérer l’esprit, la pensée, comme une construction progressive issue d’un processus d’évolution et d’adaptation. Ce qui est apparemment inné ne constitue pas une donation sui generis mais est le résultat d’une acquisition.
Le point de départ de la connaissance est le réflexe (lui-même s’originant dans les mouvement des cellules et molécules) qui évolue peu à peu en réflexion par accumulation/mémorisation de l’expérience. Il y a trois temps fondamentaux : la perception/enregistrement de l’élément du réel puis sa classification/mémorisation dans des catégories et enfin l’action. L’induction est ce passage du fait/objet au concept et la déduction est retour des concepts pour agir/réinterpréter le réel. Nous retrouvons ici le système réflexe initial réception/action : réaction/analyse des informations reçues, actions en retour après « réflexion ».
1 – Principes généraux de fonctionnement de la conscience/pensée
Le fonctionnement de la conscience pourrait être résumé en trois opérations à la fois distinctes, et parfois séparées dans le temps, mais intimement liées :
1) La perception/réception d’une unité d’information ou percept.
2) La classification, mémorisation,
3) L’action : pensée (analyse, induction/déduction, rappel), gestes, paroles, écrits.
En séparant quelque peu artificiellement pour les besoin de la compréhension ces trois temps/opérations, on pourrait réserver le terme de pensée à la seule procédure de mise en rapport interne (opération 2) des concepts qui constitue le propre de la réflexion et qui suppose un détachement tout à la fois de la pure réception et de l’action/réaction.
La pensée est alors cette fonction de la conscience (2) qui unifie le divers des percepts sous le concept général ( catégorisation/classification/analyse), et opère selon les deux modalités de l’induction (connexion de l’information à la généralité) et la déduction (production nette du général). Elle se sépare, et s’est séparée progressivement, du système réflexe qui est immédiateté entre action et réaction. La déduction apparaît alors comme le résultat du travail de la pensée qui a comparé/traité les divers percepts en concepts ou les différentes idées en concepts plus généraux.
Le terme de concept sera alors réservé au groupement/synthèse des idées, comme étant le résultat de l’induction et déduction de la pensée. Par conséquent celui d’idée sera réservé à une information empirique faisant l’objet du processus d’induction ou issu de celui de la déduction. L’idée est alors la désignation nominale et « statique » d’un objet, action, groupe d’actions, groupe de concepts ayant un rapport avec la saisine du réel (interprétation, saisine brute) ou résultant d’une action externe (parole, geste, expérimentation, vérification etc).
La nomination (ou signifiant) est la procédure d’individuation puis de transfert de l’objet à l’idée avant toutes classifications et opérations multiples inter-idées. La nomination est l’idée brute de l’objet, du fait ou de la fiction.
Ainsi l’idée arbre désigne l’objet, il se résume à l’attribution du nom. Si on lui associe une propriété, par exemple « avoir des feuilles » nous faisons œuvre de synthèse pour élaborer le concept d’arbre feuillu. Si à la suite de multiple observations, nous élaborons la catégorie « les arbres » et « les arbres ont des feuilles » nous avons induit une généralisation et avons synthétisé le multiple cad conceptualiser. Si maintenant à partir d’une de leurs propriétés générales, par exemple « pousse en terre » nous formulons une hypothèse « un certain nombre d’objets qui poussent en terre devraient avoir des feuilles « nous associons ces deux propriétés en tentant de les généraliser, nous pouvons déduire l’existence d’objets ayant ces deux propriétés et par là découvrir une nouvelle catégorie, les plantes à feuilles qui ne sont pas des arbres.
On voit par là que la généralisation fonctionne à la fois par l’induction et la déduction. Il en va de même pour les mathématiques car une fois établie par exemple la catégorie du nombre en l’extrayant de l’observation du réel, il devient possible d’effectuer des opérations multiples sans recourir à l’expérience. Ainsi, le propre de la conceptualisation, c’est d’associer les multiples idées pour les classifier et effectuer des opérations de généralisation, d’extension en élaborant des hypothèses sur cette possibilité par induction ou déduction à partir de concepts et d’idées déjà élaborés. Cette faculté de conceptualiser se trouve donc à l’interface entre l’observation et l’action, entre le recueil des données et l’expérimentation.
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Le classement en catégories (savoir taxinomique) précède nécessairement le travail de déduction et de synthèse, la production de lois générales et de principes. Aussi la première démarche d’une activité scientifique est-elle la nomination puis la classification (Aristote, Linné, Darwin). L’idéal de la taxinomie est le tableau de Mendeleïev qui propose un classement des éléments à partir duquel on peut déduire certaines de leurs propriétés (ou inversement) et de rechercher des lois.
2- La pensée est distanciation temporelle avec l’action et la perceptionNous dirons que la pensée est le propre de l’esprit lorsqu’il se trouve en soi, hors du monde, l’Idée est ce qui le met en rapport d’action ou d’information sur le monde, le concept c’est la procédure et son résultat d’unification. Il va de soi qu’il ne saurait y avoir de pure perception de l’idée brute puisque cela suppose toujours une structure d’accueil préexistante et que la pensée est immédiatement à l’œuvre dans l’acte de réception en proposant ses concepts et catégories. Mais, cette distinction s’imposant pour la progression de l’analyse, on constate immédiatement que c’est l’accroissement de la pensée qui permet à la conscience d’étendre le champ de l’Idée (ouverture plus large à la nomination des objets du monde) et d’étendre celui de sa puissance (extension de la puissance d’action sur le milieu). Une telle distinction permet également d’affirmer que la pensée, l’usage du concept, n’est pas le propre de la seule conscience humaine mais existe de façon embryonnaire selon des degré divers dans tout le règne vivant, voire végétal. Cela est d’autant plus certain que l’interdit sur la génération spontanée qui s’applique à toute l’étantité, impose que tout existant est contenu en germe, selon des modalités multiples, dans ce qui le précédait. Ainsi du concept comme développement du système réflexe. Dès lors, le déploiement de la pensée doit s’effectuer par une distanciation de plus en plus prononcée avec le réel par l’établissement d’un écart toujours plus grand entre réflexe et réflexion. Ce qui distingue la pensée de la réception et de l’action, c’est le temps de recul, l’écart de plus en plus important entre la réception d’une information et l’action. La pensée est donc travail intérieur de l’esprit coupé aussi bien de la réception que de la réaction. L’action est mise en œuvre du concept ; lorsqu’il y a réflexe immédiat, le temps de l’analyse ne peut être. La pensée peut se faire action mais n’est pas en tant que telle action, elle doit se traduire, être transmise pour diriger et opérer sur le réel. La pensée, la réflexion est par définition recul, retour sur soi, distance avec l’événement, l’information mémorisée qui est traitée. La pensée est fondamentalement travail sur la mémoire, réorganisation des perceptions, restructuration du savoir enregistré dans l’immédiat de l’action/réception. La pensée comme recul est donc à l’opposé du réflexe et de l’acte en train de se faire. 3- Langage humain, logique et langage mathématique.De là il faut en conclure que le propre de la pensée est cette fonction de généralisation par le concept, qui permet la synthèse des préceptes par l’idée et des idées en concepts pour en produire de nouveaux sans recours à l’expérience : quelque soit l’objet, la même faculté est à l’œuvre. Il n’y a donc pas de différence d’essence entre les opérations conceptuelles qui portent sur la quantité (mathématiques) et celles sur les qualités et propriétés. L’une ne serait pas plus exacte que l’autre mais emprunte des voies différentes pour aboutir à la certitude. Ainsi, le percept est la perception de l’objet comme unité individuelle, l’idée serait le nombre en tant que signifiant, le concept les lois opératives (addition, soustraction), les programmes et autres systèmes, langage formels, logiciels etc . Il s’agit là des facultés de synthèse a priori sans recours à l’expérience tel que l’enseigne Kant. Cependant, Kant ne mentionne pas que cette faculté tout comme les grandes catégories a priori ont été elles-mêmes façonnées par l’expérience car il n’y a pas de génération spontanée des capacités de l’esprit. La philosophie de Kant est statique car les jugements synthétiques a priori semblent magiquement attribués à la Raison sans qu’on y perçoive tout le travail de l’histoire et de l’évolution générale.
3 – La recherche de la vérité.
a) Il n’est aucune espère vivante qui ne recherche « sa vérité » qui consiste dans l’adéquation entre l’intention, l’acte et le résultat. En se complexifiant, l’intention se fait hypothèse, l’acte expérimentation, le résultat adéquat loi et l’ensemble des lois théorie. Devient vraies la confirmation d’une hypothèse, la conformité d’un acte avec le résultat envisagé. S’il est supposé par exemple que l’homme peut marcher sur l’eau sans s’y enfoncer et que l’expérience ne le confirme pas, nous avons expérimenté l’absolu du faux qui rend vrai la négation « l’homme ne peut marcher sur l’eau ». Le domaine de la vérité est en première instance celui de la vérification expérimentale par une confrontation entre l’hypothèse et le réel. Si on s’en tient aux temps premiers de l’évolution, le vrai se trouve dans le réflexe, la réponse adéquate à un stimuli : si l’intention est de se préserver pour l’animal, la réaction vraie face à un danger est la peur puis la fuite. Ainsi, le processus d’évolution est commandé in fine par son résultat : l’adaptation, qui est une réponse juste d’un vivant aux conditions de son milieu. La vérité participe du processus même d’évolution et d’adaptation, de développement et d’accroissement de la puissance d’être. L’erreur est donc non savoir, inadéquation, source de dommages voire mettant en jeu l’existence. Pour exister, un étant doit être constamment dans le vrai, cad répondre justement aux contraintes et sollicitations du milieu. On peut se demander si l’acte, la volonté de comprendre ne mettent pas en œuvre toutes les procédures multiples de recherche de la vérité et si le savoir accumulé n’est pas consécutif à cette quête incessante du juste. La recherche du vrai concerne la totalité de l’expérience humaine qui à chaque fois use de procédures et de méthodes de vérification adaptées à son objet. b) S’opère dès l’origine une distinction fondamentale entre vérité expérimentale et le domaine plus aléatoire d’hypothèses ne pouvant faire l’objet d’une expérimentation immédiate voire différée. Sur cette différence très ancienne s’est construite la séparation entre science et métaphysique (les sciences dites humaines tentant de s’extraire de la métaphysique en recherchant les méthodes de preuves des sciences dites dures en développant un complexe d’infériorité). Aussi, plus on s’éloigne de la possibilité de vérification directe et immédiate de la supposition, plus difficile est l’établissement de la vérité. L’exactitude d’une hypothèse est d’autant moins facile à valider que les faits, les idées sont plus nombreux, plus complexes, plus éloignés de l’expérience immédiate, mettant en jeu différents facteurs et consciences. Un deuxième « système de vérité » peut se mettre en place qui consiste en l’accord des consciences qui se transmue en croyances : ce serait là le domaine réservée à la métaphysique. La croyance autorise la cohabitation de vérités multiples qui peuvent être celles d’un groupe restreint, d’un peuple, d’une civilisation. Ainsi, mythes, religions, idéologies, systèmes philosophiques divers se sont imposés soit dans un même temps ou successivement. Consécutivement, un même objet physique, une même pratique, peuvent recevoir outre sa vérité utile, une signification symbolique entrant dans le système des croyances. Par exemple, un panier dont la fonction utile est de contenir des objets pour la conservation ou le transport peut-il recevoir une fonction symbolique, mythique, poétique ou esthétique. (Un objet passe au symbolique et à l’esthétique lorsqu’il se détache de sa fonctionnalité : objets de cultes ou muséification, objet décoratif).
Il n’y aurait pas d’un côté des sciences exactes, dures, et de l’autre le domaine de l’incertain et de l’approximatif. La science ne débute pas par le recours à un système de preuves formelles, mathématisables, comme pouvant assurer absolument la certitude du vrai et reposant sur des procédures vérifiables par tous. Elle ne s’assure pas par l’expérimentation comme démarche unique et spécifique, ni par l’usage de l’hypothèse comme méthode propre de la seule science. Chaque acte du quotidien, dans toute pensée, dans le moindre rapport humain s’exprime le désir et la recherche du vrai et l’usage de procédure de validation. Cette recherche fait partie de l’histoire de la philosophie comme autant d’hypothèses formulée : mythe de la caverne chez Platon, origine de la certitude chez Descartes, distinction entre savoir vrai scientifique et croyances chez Kant, dialectique du vrai dans l’histoire chez Hegel et rôle du négatif. De tout temps s’est posée la question : à quelle conditions, selon quelles procédures peut-on dissocier la vérité de l’erreur, le réel de l’illusion ? Il en va de même du questionnement prétendument spécifique à la métaphysique traditionnelle : Quels sont les sens et origine du monde, comment s’explique le Tout, le destin de l’homme ? On a proposé de nombreuses hypothèses : les mythes, les religions etc. Hypothèses d’autant plus difficiles à vérifier qu’elles tendent à la vérité globale, définitive ; Il est d’autant plus aisé de vérifier un domaine restreint de l’étantité (l’eau bout à 100°) que de fournir une explication globale sur l’origine et le devenir de l’Univers dans sa totalité. La métaphysique traditionnelle n’est pas lestée d’une impossibilité radicale à être scientifique, mais elle a un champ bien plus vaste d’exploration que celui limité de la science dite exacte. L’observation, l’expérimentation, la répétition de l’expérience, la certitude du vrai comme réponse adéquate du réel ont constitué des modes propres du développement de la conscience qui l’ont installé comme conscience pratique et technique.
Il n’y a donc pas de différence d’essence entre l’usage des premiers outils et celui des machines les plus sophistiquées mais seulement une différence de degré dans la complexité. Depuis le premiers temps de la « mise en route » de la conscience toujours celle-ci a été technicienne et donc présentait les caractères de la scientificité. Dés lors, on peut dire que le savoir humain est scientifique, s’il s’agit de définir la science par l’adéquation du concept aux résultats et à la réponse du réel. Cependant, la connaissance d’un objet n’est jamais totale et la saisine de ses propriétés est progressive. Le système géocentrique de Ptolémée était vrai à son époque, il ne l’est plus au temps de Copernic. Est-ce à dire que toute vérité est fondamentalement transitoire, ce qui donne à la certitude une sorte d’instabilité génétique ? Pour éviter un relativisme généralisé tel que la vérité soit systématiquement accolée à son doute, il importe de hiérarchiser le système des certitudes, allant du plus vrai à l’incertain absolu. Il existe ainsi des vérités éternelles, universelles, celles qui n’ont valu qu’une époque, d’autres qui ne relèvent que d’une société, d’un groupe d’hommes et enfin des vérités simplement individuelles. Le cheminement des vérités, l’histoire du savoir est alors cette transition, ce passage, des vérités individuelles à celles éternelles, cette constitution pour l’humanité d’un bloc de savoir assuré sur lequel le doute ne subsiste plus. Mais une telle conception a pour inconvénient de figer la vérité, ce qui conduit au conservatisme et d’interdire la remise en cause, le progrès, le mouvement interne que permet l’introduction du doute et du caractère non absolue des vérités que l’on croyait éternelles. Ainsi, la contradiction de l’esprit situe entre le besoin de certitudes pour s’établir avec assurance dans le monde et l’inéluctable travail du devenir qu tend à tout transformer, à réaménager la distribution relative des vérités. En tout temps, ici et maintenant également, somme-nous établis avec fermeté dans un système de vérités, et sa hiérarchie du plus au moins certain. Aussi, est-il d’autant plus difficile d’introduire le doute que ces vérités seront considérées comme les plus éternelles, le plus communément partagées par le plus grand nombre et qu’elles seront certifiées par les instances supérieures et officielles des sociétés. Pour Heidegger la vérité originaire,c’est la vérité ontologique, qui consiste tout simplement en l’apparition des choses «au jour clair de la présence».La vérité du jugement suppose donc que nous ayons d’abord et originairement accès aux choses elles-mêmes, que les choses se manifestent pour que nous puissions en juger. Il y a donc une vérité d’avant le jugement, «anté-prédicative» qui n’est autre que le contact du Dasein avec l’être. La vérité prise en ce sens originaire (Heidegger l’appelle aussi vérité ontologique) n’est pas un discours vrai, mais ce qui rend possible tout discours vrai. Pour formuler un jugement d’adéquation entre l’idée et le réel, encore faut-il qu’existât une conscience préalable pour dire le vrai et le faux. « Cette ouverture de l’être à lui-même dans le Dasein », Heidegger l’appelle alèthéia (vérité en grec, traduit littéralement par «dévoilement»). La vérité originaire n’est rien d’autre que le dévoilement des choses, l’apparition de l’être. » Or, il s’agit d’un détournement de l’idée de vérité qui suppose une capacité de jugement certes postérieure à l’être-là du dasein. Si nous nous situons avec le Dasein hors le jugement, la notion de vérité n’a plus aucun sens puisqu’elle suppose toujours d’avoir à décider entre le vrai et le faux. Dire que l’arbre est vrai car il est là, certes, nous ne pouvons supputer que son existence soit fausse. A vrai dire, aucun jugement de vérité ne peut être porté sur l’existant sauf à constater son être-là. 4- Représentation de l’extériorité et la question du réelTout individu de la matérialité, puisque individualisé, est en situation de relation avec le « non-lui » ce qui suppose définie une extériorité corrélative. Cette extériorité est dénommée traditionnellement le « réel » qui est constitué d’objets physiques, les étants, appartenant aux trois règnes (minéral, végétal, animal). Le réel « s’oppose » au Rien, à l’absolument inexistant et pour l’en différencier, il faut bien supposer qu’il est constitué d’une substance quelconque (prématière, état ondo-photonique ou matière) dont la réalité peut s’appréhender par les effets produits sur un autre étant. (Cependant, la substance de l’espace n’existe pas au sens d’un étant car n’est ni soumise au temps, ni individualisable mais constituée en objet physique réel, susceptible d’actions et de réactions). Il est impossible, sauf par un procédé purement logique, de donner un contenu au Rien qu’on ne peut opposer à la substance : le contraire de la substance n’a aucun sens. Il n’y a pas de négation possible au réel, sauf à transférer ses propriétés sur le mode de l’esprit ou d’une façon générale à la perception. Le perçu est toujours « de quelque chose ». Lorsque l’information est traduite/enregistrée/codée sous forme d’agencement des cellules constituants les neurones, le réel demeure inscrit comme témoignage d’une présence. Lorsque la conscience disparaît, lorsqu’il y a mort de l’individu, on pourrait considérer qu’il y a néantisation : ce qui était n’est plus. L’essence qui avait rassemblé les étants pour constituer un être singulier a cédé à la dispersion. L’essence particulière, qui n’était pas avant l’être-là disparaît à nouveau. Elle se serait extraite d’un néant pour y retourner. Mais le néant n’est pas un lieu, il ne peut s’opposer au « plein » de l’être-là situé dans le temps et l’espace. Seules les essences singulières sont condamnés à disparaître à jamais, à se néantiser. Nous avons vu qu’il existe une gradation des essences aptes à se répéter, à reconstituer certains étants sur le mode de l’éternelle reproduction ou des cycles plus ou moins longs. Or ces essences éternelles ou quasi éternelles ne rejoignent pas le néant et n’y sont pas disposées dans une réserve particulière du cosmos. Il ne peut s’agir d’un néant ni d’un être-là. Comme on le constate, le concept de néant est d’un usage très restreint. Si on ne pose pas une égalité première : réel = substance on ne peut philosopher sur quoique ce soit car il devient impossible de définir un objet, une réalité, extérieurs à la conscience (ou à l’appareil de mesure). La scission sujet/objet et esprit/matière corrélative est l’acte premier du savoir, le premier moment de la métaphysique. Cette scission permet de poser la corrélation par lequel l’Un nous autorise à déterminer l’Autre comme existant. Dés lors que la relation est établie, la connaissance de l’un par l’autre est rendue possible. Le face à face sujet/objet (la corrélation) monde perçu/monde donné, est une structure ontologique constitutive de toute la matérialité et partant de l’organisation du cosmos. Cette relation constitutive de tout étant est par nature un rapport avec l’Autre que soi (le réel c’est l’Autre que soi). Cela implique que le réel est fondamentalement le résultat d’une perception. L’existence du réel, la preuve de l’extériorité d’un étant substantiel est toujours un donné par lequel l’un perçoit l’autre par le moyen de divers procédés de perception et d’enregistrement des signes multiples prodigués par l’objet qui manifeste ainsi sa présence, son existence. Mais la perception suppose le passage des signes émis par l’extériorité à travers les filtres des organes et procédés perceptifs ce qui implique toujours une traduction telle qu’on n’est jamais assuré que l’objet perçu corresponde à l’objet réel. Se trouverait ainsi opposés un objet absolu « en soi » inconnaissable et celui issu de la représentation d’un sujet connaissant. Nous sommes au cœur d’un dilemme puisque tout savoir suppose une scission entre sujet et objet à partir de laquelle la perception de l’un par l’autre est rendue possible. Aussi, le savoir absolu, l’en soi de l’objet, implique l’absence de scission ce qui rend impossible tout savoir. Ce concept de savoir absolu constitue un interdit logique déduit d’une impossibilité physique. Il suppose que la vérité totale du réel reste enfermée dans l’objet, que cette connaissance absolue soit opérée de l’intérieur, qu’il soit apte à se connaître lui-même. (nous verrons que cette scission interne entre un « je » et un « moi » est le propre de la seule conscience). S’il ne peut y avoir de savoir et de vérité absolus « en soi » alors toute information perçue par les organes est relative à la structure et capacité de ces organes. Ceci conduit à constater qu’il ne peut y avoir une représentation absolue du monde, d’un objet, et que toute connaissance est RELATIVE au sujet qui perçoit. Ce savoir est donc toujours savoir par un autre puisque aucun étant, hormis l’homme[1], n’est capable tout à la fois de se positionner en intérieur/extérieur pour se connaître lui-même. Ainsi, ce sont toujours les organes ou les appareils d’observation qui construisent la réalité de l’objet observé. De ceci on ne doit pas conclure qui puisque relative au sujet, le savoir ne saurait être vrai et consécutivement le réel n’aurait aucune consistance, et que le cerveau ne fait que construire des fictions, des simulacres qui n’ont de sens que pour le sujet connaissant. Selon Hume, puisque nos connaissances reposent sur nos impressions sensorielles, aucune connaissance n’est jamais certaine. La connaissance objective du monde « l’en soi » de l’objet est impossible. Mais comme il ne peut y avoir de connaissance hors d’une séparation sujet/objet et que toute connaissance est perception des informations envoyées par l’autre, il faudrait douter de nos sens comme aptes à décoder exactement la sensation perçue. Or, comme l’autre -l’objet- ne peut se connaître lui-même de l’intérieur, et ne donne sa vérité qu’en s’exposant à des organes sensoriels douteux pouvant la recevoir, aucune réalité vraie ne sera jamais possible : le monde devient fausseté absolue. Ou illusion : le monde objectif n’existerait pas puisqu’il n’existe que par la perception subjective et les propriétés des objets ne peuvent être que dans la relation avec un sujet récepteur. Mais cette capacité à recevoir et à « interpréter » le réel par la médiation des sens ou autres procédés de perception n’est pas le propre de la seule conscience puisqu’elle constitue la modalité unique du fonctionnement de l’univers dont tous les éléments sont en rapport d’action et de réaction. C’est le cas de la matière et de l’expression des forces électromagnétique, nucléaire et gravitationnelle par lesquelles chaque particule est en interaction avec les autres. Ce processus détermine tout le vivant. Ainsi de la bactérie qui entretient des rapports d’action et de réaction (messages chimiques) qui lui permettent de « connaître » son environnement. Ses différentes propriétés sont en effet adaptées aux contraintes du milieu. L’individu vivant est doté d’une membrane ou autre procédé le séparant de l’extérieur et communiquant par des organes sensoriels et des organes d’action. Ces organes sont reliés par un système nerveux lui-même doté, pour les organismes évolués, d’un cerveau reliant l’ensemble permettant la mémorisation et de traitement des données provenant des sens. Pour survivre, il doit donc trouver dans son milieu les éléments lui permettant de se développer et éviter ceux susceptibles le faire disparaître. Il doit donc se construire une représentation de ce milieu. Il élaborera par essais et erreurs, des stratégies de survie et de développement. C’est l’ensemble de ces adaptations qui sont mémorisées par les gènes de l’espèce et sur le court terme par le cerveau de chaque individu. C’est par l’expérimentation et les essais et erreurs qu’un organisme va se constituer sa représentation vraie (pour lui) de son environnement au cours de son évolution et que ses organes sensoriels vont se perfectionner pour approcher vers la description la plus parfaite du réel. Par les mutations génétiques, l’organisme perfectionne ses capacités d’analyse et construit une nouvelle représentation de son environnement, à chaque fois plus adaptée, plus vraie, car en cas d’erreur l’organisme inadapté ne survivra pas. Dès lors, chaque espèce qui est adaptée à son environnement, pour la part du réel qui est nécessaire à sa survie et à son développement, a mis en place un « modèle » à partir duquel ils pourra interpréter correctement les stimuli et réagir en conséquence. Dés lors, expérimenter sur les objets du monde consiste à formuler des hypothèses sur leur texture, nature , propriétés etc, lesquelles, si elles s’avèrent exactes par vérification, vont constituer le réel tel qu’il est effectivement. Si par exemple il m’est impossible d’avancer dans une direction alors même que j’en ai toutes les capacités physique, je dois en conclure qu’un obstacle barre ma route et que celui-ci est bien une réaction d’un objet du réel et non pas le produit de mon imagination. Ainsi, au cours de son évolution l’esprit n’a cessé de perfectionner ses modalités de perception et d’analyse du réel pour s’y adapter avec plus d’efficacité. Cette fonction de construction du réel extérieur n’est pas différente de celle établie par les espèces dont le système nerveux est plus simple. Cependant le cerveau de l’homme plus développé en connexion nerveuses et en capacités neuronales lui permet de mémoriser les résultats de l’expérience acquise par l’organisme en interaction avec son milieu. L’esprit construit un modèle du réel beaucoup plus étendu et flexible que celui des organismes plus simples lui permettant de développer des stratégies de réaction à retardement plus subtiles et non plus immédiatement réactives. Ainsi, un modèle du monde est « vrai » lorsqu’il permet le plus parfait accord entre le résultat des expérimentations sur celui-ci et les hypothèses qui constituent ce modèle. Il est d’autant plus général et englobant, il décrit d’autant mieux les exacts contours du réel, qu’il peut le mieux intégrer un nombre plus important d’informations vérifiées. Ce modèle, cette conception du monde, doit remplir sa première mission qui est celle de toutes les espèces vivantes : pouvoir assurer la survie et le développement comme expression de la volonté d’exister. La tension vers l’absolue vérité du réel est donc liée à la capacité d’un organe moteur – le cerveau humain- apte à décrypter et à analyser les constituants du réel et à en extraire leur propriétés à des fins déterminées par la volonté de puissance. Comme il ne saurait y avoir de vérité du monde autre que celle qui résulte de sa perception, que l’objet en soi pas plus que le monde ne peut offrir sa vérité autrement qu’en s’exposant à la perception d’un organe récepteur, chaque information vérifiée qui est ainsi extraite représente un pièce absolument irremplaçable du puzzle du réel que le cerveau est apte à reconstruire. Ce modèle est vrai jusqu’à son dépassement par une conception plus en progrès. Pour les hommes de l’époque précédente, il restera comme étant le plus exact, compte tenu de l’état du savoir et des contraintes de l’environnement. Ainsi, le système du monde de Ptolémée représentait la meilleure cosmologie possible dont l’époque était capable. Ce n’est que rétrospectivement qu’on a pu dire que ces hommes d’avant la Renaissance avaient vécu dans l’erreur mais pour eux, leur conception de leur monde était parfaitement juste. S’il en était autrement, si le modèle était absolument insatisfaisant au point de rendre inexactes et incompréhensibles les observations du mouvement des planètes, il leur serait apparu immédiatement comme inadapté. On doit revenir sur la conception selon laquelle puisqu’un savoir donné a été remplacé par un autre, alors Tout le savoir est soumis à l’instabilité, d’où on conclut qu’il ne peut y avoir de connaissance vraie dans l’absolu et que notre représentation est illusoire. Or une connaissance admise à une époque doit au moins répondre à un questionnement, remplir un espace d’utilité. Ainsi, l’élaboration des mythes a-t-elle correspondu à une interrogation sur l’origine de l’univers, le jeu de ses forces etc..Leur remise en cause a été le point de départ pour d’autres réponses mais dans la zone de la question précédemment ouverte. Comme on le constate, l’adaptation du savoir au réel est identique quelque soit le niveau théorique de celui-ci. Le principe de l’ajustement du stimuli à sa compréhension représente une procédure universelle dont usent aussi bien les organisme les plus primaires que le cerveau de l’homme le plus développé. Il en résulte également que tout organisme construit nécessairement sa conception du monde que lui permettent ses organes sensoriels et corrélativement à son environnement. Pour ce qui concerne l’esprit, la construction de ce modèle du monde est déterminée par les progrès de sa connaissance et tend vers une vérité de plus en plus adaptée par englobement d’une quantité plus importante d’informations. Ce modèle du monde n’est pas absolu, puisque toujours perfectible, mais contient les seules connaissances permettant à l’espèce de s’adapter au mieux aux contraintes et résistances effectives qu’elle perçoit et qui constituent la réalité du réel. Or, il n’est pas réservé à la seule conscience humaine de connaître l’Autre. En effet, tous les étants entretiennent des rapports de connaissance mutuelle par lequel le monde de la matérialité peut être et subsister. Comme la conscience en son origine matérielle est postérieure à la présence du monde, la connaissance, au sens ou les étants matériels peuvent se connaître entre eux pour agir et réagir, ne naît pas subitement avec la parution de l’esprit mais celui-ci ne fait que prolonger une fonction à l’oeuvre dans la nature. Les premières espèces vivantes avaient bien une « conscience » de l’extériorité et une « conception du monde » leur permettant d’agir, de s’adapter et de proliférer
5- La question du réel et l’indéterminisme quantique.A – Considérations générales Toutes les lois de la nature sont déterministe par essence : une même cause produit toujours le même effet. Aussi, l’indéterminisme résulte de notre incapacité à mesurer tous les facteurs qui interviennent dans la production d’un phénomène. Une très grande multiplicité de causes peut agir simultanément selon des intensités graduées. Il existe ainsi une catégorie de phénomènes dont l’étude ne peut faire l’objet d’aucune prédiction certaine puisque leur détermination est soumise à un grand nombre de variables que la science ne peut contrôler. Ainsi, La physique quantique ne peut prévoir avec certitude le résultat d’une observation. Elle doit formuler les probabilités de certains résultats qui peuvent se vérifier si l’expérience est répétée un grand nombre de fois. La fonction de probabilité détermine la tendance comme indication de l’incomplétude de la connaissance. Cependant la relativité (la connaissance est relative à l’observateur) et la physique quantique (c’est l’instrument qui va déterminer le type de connaissance recueillie) vont ouvrir la crise contemporaine du rapport esprit/monde et appellent à reformuler sur des bases nouvelles la « question du réel ». Le débat Einstein/Bohr condense ce conflit d’interprétations sur la nature du réel. Le problème est de savoir s’il peut y avoir de la réalité, hors les sens et les instruments de perception, s’il y a une réalité en dehors de toute mesure.
1 – Bohr est justifié d’affirmer qu’il n’y a pas de réalité en soi puisqu’il parait évident que toute perception du réel dépend de la structuration de l’organe et de l’appareil qui s’interposent nécessairement pour recevoir de l’information de l’autre que soi. Le réel en soi signifie qu’un objet physique ne peut se percevoir lui-même et que le réel est fondamentalement affaire de perception. Il ne peut donc y avoir de réel absolu, en soi, et celui-ci est toujours relatif à l’observateur. Mais cela ne veut pas dire que ce réel est une pure construction idéaliste d’une conscience ou d’un appareil de mesure, qu’il n’y aurait pas de « réalité ultime profonde ».. Le réel est une construction progressive et mémorisée qui résulte de l’interférence entre les signes émis par l’objet et les capacités et limites de l’organe ou de l’appareil de perception. Par exemple, la structuration de l’oeil humain ne lui permet pas de percevoir certaines longueurs d’ondes lumineuses. Le regard est donc incapable d’obtenir une vision complète et donc absolument réelle d’un objet. Il aperçoit certes l’objet dont il peut déclarer l’existence, mais ne peut atteindre toutes ses propriétés. L’objet « en soi » le réel absolu signifie qu’on doit posséder TOUTES les propriétés d’un objet et cela dans TOUTES les conditions possibles de l’expérimentation. A l’objet absolu doit correspondre la perception absolue, ce qui est une perspective infinie, à jamais atteignable. A mesure que nous expérimentons davantage, nous parvenons à déterminer de PLUS en PLUS de propriétés, nous tendons vers une connaissance toujours plus parfaite sans jamais atteindre une connaissance totale. Dés lors, une vision/mesure sera toujours et nécessairement RELATIVE à un nombre plus ou moins grand d’observateurs placés dans les mêmes conditions : il s’agira de la définition propre de l’objectivité scientifique. On peut toujours qualifier d’objet en soi cette connaissance absolue de l’objet selon toutes les manières de le percevoir ou encore affirmer, consécutivement, que le savoir total étant impossible, il restera toujours une part cachée à la connaissance. Cependant, le savoir est soumis à la loi des rendements décroissants par laquelle de plus en plus d’investigations aboutissent à des informations recueillies de moins en moins signifiantes. Entre la connaissance qu’avaient les grecs de la géographie de la terre et celle obtenue par les satellites, il y a eu un énorme bond mais payé par la saturation progressive des zones méconnues : les progrès dans la précision apportent de moins en moins d’informations utiles et surtout nouvelles. 2 – Le réalisme d’Einstein nous signifie que nous pouvons percevoir la réalité d’un phénomène sans être capable d’en identifier précisément toutes les propriétés. En effet, un phénomène EXISTE si nous pouvons le repérer par un moyen ou un autre, s’il nous envoie un signe que nos sens ou nos instruments sont capables de le détecter (même, s’il y a erreur sur l’identification exacte). Nos moyens de perception n’ont pas le pouvoir d’attribuer l’existence car si l’objet n’était pas, aucun signal ne nous parviendrait. Si l’objet, par un signe ou un autre, se fait connaître on doit déclarer que RETROSPECTIVEMENT il a existé AVANT notre perception car nous n’avons pas encore le pouvoir de créer spontanément des étants par le simple fait de les voir, les sentir ou les mesurer. De même, il peut continuer à demeurer existant APRES la mesure, sauf à apporter la preuve de son annihilation car nous n’avons pas non plus la faculté de détruire un élément du réel par le seul fait de le voir ou de le mesurer. 3- Mais inversement, un objet peut être sans nous ou plus exactement sans que nous puissions le détecter, mais nous ne pouvons aucunement prétendre déclarer sa réalité « pour nous ». Cependant, le respect du principe de réalité, voire un réalisme primaire, implique qu’un objet – que des mondes- peuvent bien exister « sans nous » hors toute possibilité d’en apporter la preuve. Il y a des mondes, des objets dont nous savons qu’ils existent dans le même temps que nous sans pouvoir dire dans quel lieu, sans être apte à en définir la nature. Par principe, nous savons qu’il existe une extériorité inconnue qui ne se limite pas à nos connaissances actuelles car ce serait affirmer que nous possédons le savoir absolu. Par ailleurs, il est présomptueux d’affirmer que le monde à commencé a exister avec l’émergence de l’homme et qu’il disparaîtra avec lui. La datation d’éléments radioactifs montrent bien que la Terre était née avant nous : le réel ne se prouve pas seulement par l’observation directe. Si nous cessons de percevoir l’objet, si un objet inconnu existe quelque part sans qu’on puisse en déterminer l’existence et consécutivement ses propriétés (tout existant nous apparaît simultanément avec au moins une de ses propriétés), on est pourtant absolument certain qu’il appartient au monde (tout ce qui existe appartient à l’univers, il n’y a pas de hors monde). D’autre part, le réel n’existe pas seulement pour une conscience humaine. La connaissance de l’extériorité est une structure ontologique fondamentale par laquelle tout étant individué se trouve en relation avec un « autre que lui » dont il perçoit nécessairement la réalité par ses organes et moyens divers de contact au moyen desquels il agit et réagit. Le principe d’intangibilité du réel, et de réalité du réel consécutif, n’est pas réservé à la seule déclaration d’existence effectuée par l’esprit. Si celui-ci disparaît, l’univers, commandé par ses principes éternels continuera à exister pour les reste des étants : chacun d’eux pouvant, selon la structure constitutive de sa perception, constater une réalité extérieure à lui-même. (ce qui ne signifie nullement une conscience de la différence, celle de l’écart entre un moi qui se réfléchit dans le réel). B – La question du réel et les expériences en physique des particules Il faut radicalement distinguer la déclaration d’existence d’un objet de la connaissance de ses propriétés (ou de son état). L’existence d’un électron est certifiée par l’appareil de mesure qui peut connaître sa masse et sa charge. Il s’agit de propriétés communes à tous les électrons. Par contre la détermination de son état particulier à savoir son orientation de spin, sa position et sa vitesse supposent un dispositif spécial plus complexe d’appréhension. Mais si l’on s’en tient aux propriétés communes, alors on peut dire que l’électron détecté existe bien dans le réel comme particule, qu’il a existé avant et qu’il sera après l’observation. 1) Dans l’expérience de Stern et Guerlacht, nous sommes assurés qu’un électron envoyé puis détecté existe bien comme réalité déclarée. Par contre, nous ne savons rien d’une particularité de son état (orientation du spin) AVANT de mesurer puisqu’il s’agit JUSTEMENT de déterminer cet état grâce à l’appareil. Quelle est la fonction et donc l’influence de cet appareil ? C’est justement d’introduire une contrainte qui oblige les électrons à choisir une direction ou un autre selon le rapport qu’ils établissent avant de passer devant le détecteur, entre leur état de spin actuel et le champ magnétique. Ce n’est donc pas au moment de la mesure que s’effectue l’orientation du spin mais avant celle-ci, par et dans un champ magnétique dont les effets sont produits antérieurement. En l’espèce, la physique quantique ne peut déclarer que la mesure en tant que telle a un effet quelconque sur la réalité d’une des propriétés de l’électron. Le détecteur se contente d’indiquer la présence d’électrons ayant tous dans un canal donné la même orientation de spin. Le problème ne se situe pas au moment de la mesure mais avant et après le rapport électron/champ magnétique. Il apparaît avec évidence que c’est le champ magnétique qui va conditionner le choix de l’orientation du spin. Le formalisme quantique nous dit que le spin de l’électron est dans un état superposé haut et bas avant de passer dans le champ magnétique, ce qui est inexact en stricte logique phénoménale. Avant il est dans un état bien défini mais nous ne pouvons le déterminer, comme nous ne pouvons savoir la cause qui fera qu’un électron choisira une orientation de spin et pas l’autre. Lorsqu’un phénomène est strictement indéterminé, il ne reste plus qu’à déclarer qu’il est soumis au hasard qui manifeste notre impossibilité provisoire ou non de déterminer sa cause exacte. Il faut affirmer avec force le principe de réalité qui veut qu’un corps qui existe occupe nécessairement une position dans l’espace à un moment donné, qu’il a un mouvement propre et qu’il est agi par une cause qui modifie son état. Une chose est de déclarer ce principe intangible, une autre est de le vérifier sur tous les objets. Lorsque la parution d’un phénomène est ainsi soumise au hasard, il dispose d’un champ de possibles entre lesquels il peut choisir selon l’action de la cause qui le détermine mais qu’on ne peut connaître. Compte tenu des contraintes connues, on pourra construire une mathématique de tous les états possibles de l’électron : la physique nommera cela des « états superposés » ou vecteurs d’état. Mais cela signifie nullement qu’avant la mesure l’électron occupe réellement tous ces états possibles, qu’il ne soit nulle part et partout à la fois, que son spin soit simultanément en haut et en bas. Il est dans un état effectif mais qu’on ne peut déterminer. En effet, la connaissance de l’orientation d’un spin suppose toujours le passage dans un champ magnétique lequel va avoir un effet sur la nature du mouvement de sorte que nous ne pouvons jamais savoir s’il y a eu changement ou pas d’une orientation préalable que nous ne pouvions connaître AVANT l’action du champ magnétique justement destinée à connaître celle-ci. 2) Il en va pareillement lorsqu’il s’agit de déterminer la position d’un électron autour du proton puisque le photon destiné à le mesurer va perturber sa trajectoire et on ne pourra pas constater son orbite mais seulement un point de celui-ci. Mais le fait qu’on ne possède aucun moyen pour savoir ce qui se passe entre deux observations consécutives n’entache en rien le principe de réalité. Si on n’observe pas la désintégration de la particule, on peut affirmer qu’elle continue à subsister. Le problème est exactement le même que de déclarer l’ignorance de la position, de la vitesse et de l’existence de tout ce qui échappe à notre observation. Cependant, il est possible de déterminer théoriquement, en application des lois fondamentales de la physique, si l’électron peut tourner ou pas sur une orbite (voir livre physique). Ici, une des propriétés de l’électron ne peut être connue avec certitude, ce qui ne signifie nullement qu’ils doivent disparaître comme particule réelle pour se fondre dans l’équation d’ondes. Le traitement statistique en termes de probabilités de présence n’implique pas qu’il existerait des variables cachées au sens d’un mystère que nous ne parvenons pas provisoirement à dévoiler. 3) La dualité onde/corpuscule La dualité onde/corpuscule nous fait supposer qu’un même objet (le photon) aurait une identité double accordée par l’appareil de mesure qui le percevrait tantôt comme onde tantôt comme corpuscule. Un tel dédoublement d’un objet unique laisserait à penser qu’il est porté atteinte au principe d’identité selon lequel une chose ne peut être elle-même et une autre à la fois. La physique quantique a été amenée à conclure que le choix du type de mesure déterminait la propriété observée et qu’on ne pouvait à la fois détecter l’aspect ondulatoire et corpusculaire (ces deux mesures étaient radicalement incompatibles). En conséquence, et par souci de respecter le principe d’identité, un voile opaque a été jeté sur le principe de réalité. Si en effet la propriété observée dépend de l’appareil de mesure et si nous avons un objet tout à la fois unique et dual, alors, on ne peut plus rien affirmer sur la réalité de l’objet, on doit se contenter de la fonction d’onde et de son efficacité expérimentale qui ne demande plus à être prouvée. Or mécaniquement la dualité onde/corpuscule est une réalité et l’onde accompagne toujours le photon et les particules de matière qui peuvent interférer à distance. Photons et particules ont en effet cette double propriété d’exister comme corpuscules (à un certain niveau d’énergie pour les photons) lesquels, en se déplaçant dans la prématière entraînent un cortège d’ondes électromagnétiques. Selon les réglages, l’appareil de mesure percevra tantôt l’une tantôt l’autre de ces propriétés sans que la mesure de l’une fasse disparaître la réalité de l’autre: jamais une particule ne peut être séparée de ses ondes. Une particule unique ne se divise pas et passe par l’un ou l’autre trou d’un écran, les ondes peuvent passer par les deux trous pour interférer et se recomposer ensuite. L’onde EM engendre un photon de plus en plus corpusculaire à mesure qu’elle s’accroît en énergie: on peut prédire une étroite corrélation entre la détection des photons comme corpuscules et leur niveau d’énergie. Ce qui n’a pas été compris, c’est que le photon peut apparaître essentiellement comme onde aux basses énergies et « durcir » progressivement en corpuscule, qui laissera un impact à l’identique d’une particule. A l’origine de cette confusion, nous trouvons le refus de la physique quantique de donner un statut prématériel à l’onde comme pouvant être à l’origine du photon, lequel peut donner naissance à la matière. En traitant le photon comme « grain d’énergie », on s’interdisait de comprendre la réalité indiscutable de la dualité onde/corpuscule.
4) La superposition d’états et le paradoxe EPR IV- En définitive, la physique quantique ne peut pas plus destituer les principes du réel qu’Einstein ne peut nier que pour certaines mesures l’appareil va orienter la nature de la propriété mesurée et qu’un hasard préside à certains phénomènes. Bohr ne peut mettre en doute le principe de réalité dans son ensemble car le rôle l’appareil se situe dans la détermination de certaines propriétés d’une particule - mais pas toutes – notamment quant à la certitude de son existence. Avant la mesure, le principe de réalité impose qu’un corps occupe un volume, une position et un état précis mais indéterminé pour l’observateur. Il ne peut être extrait du néant et surgir spontanément muni de propriétés acquises en relation avec l’appareil. Pendant la mesure, il a peut-être acqui des propriétés nouvelles en interférant avec l’appareil, mais son existence ne peut pas être mise en doute. Bohr a tort d’affirmer qu’il n’y a pas de réalité en soi au prétexte que l’objet interfère avec l’appareil puisque, d’une part l’objet en soi n’a aucun sens et que d’autre part, le fait qu’une interférence se produit relativement à l’une des propriétés, mais pas toutes, ne disqualifie nullement le principe de réalité : Bohr lorsqu’il affirme que le réel est le produit d’une interaction du phénomène et de l’appareil, profère cette vérité d’évidence que nous percevons le monde extérieur par l’intermédiaire de nos sens dont l’appareil n’est qu’un prolongement. Il devient alors évident avec Einstein que « si on perturbe aucunement un système et qu’on peut prédire avec certitude la valeur d’une quantité physique, alors il existe un élément de réalité physique correspondant à cette quantité physique ». Allant plus loin nous pouvons affirmer que même s’il y a perturbation, le fait qu’on perçoive un seul signal de l’objet nous assure de son existence comme étant l’indication d’un réel présent. Mais Einstein a tort de ne pas considérer qu’il se trouve certaines propriétés dont l’observation est nécessairement biaisée par l’appareil (ce qui veut tout aussi bien dire qu’il existe vraiment). Il a raison cependant d’affirmer que l’objet existe avec tous ses attributs (l’objet en soi) indépendamment de l’observation. Cependant l’objet de la science est justement, par différents procédés, de tendre vers la plus complète connaissance du réel, de passer de l’ « en soi » au plus près du « pour soi» de l’objet.
On peut toujours imaginer qu’il y a un « en soi » à jamais connaissable posé a priori comme une fin jamais atteignable du savoir ( De fait, le très grand nombre de situations auxquelles un objet peut être mis en relation pose la connaissance a priori comme illimitée, outre le fait que jamais les conditions de l’observation ne sont exactement les mêmes).
[1] Nous ne discutons pas ici la possibilité d’une pré conscience de soi que peuvent posséder certains animaux.
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